Dans l’industrie du jeu vidéo comme partout ailleurs, l’argent est souvent le nerf de la guerre. Ces dernières années, il est devenu très difficile de rapprocher les velléités des éditeurs, confrontés à un marché plus compétitif, complexe et risqué, de celle des joueurs, plus sensibles aux prix depuis l’émergence des titres mobiles. Les micro-transactions en particulier sont une pomme de discorde entre éditeurs, développeurs et joueurs.
Pour certains titres, dont l’acquisition est un acte ponctuel subordonné au seul versement d’un prix d’achat, le sujet est moins prégnant. Dans le cas des Free-To-Play, pour lesquels aucun achat initial n’est requis, les joueurs font preuve de tolérance si l’éditeur propose une monétisation perçue comme naturelle. Mais pour les jeux pensés comme des services, qui bénéficient d’ajouts de contenu réguliers et qui sont voués à se multiplier, la problématique est toute autre.
Bien qu’il soit impératif de financer des créations additionnelles, le modèle « traditionnel » des MMOs à abonnement tels que World of Warcraft est décrié. Des levées de bouclier se produisent à la moindre avarie technique. C’est pourquoi d’autres modes de financement ont fait leur apparition, parmi lesquels les micro-transactions in-game tiennent une place prépondérante. Destinées à compléter ou remplacer les autres formes de revenu, les micro-transactions sont un sujet extrêmement sensible dans l’inconscient des joueurs. Le moindre écart est susceptible de déclencher les foudres d’un public de plus en plus intransigeant.
Petit historique des micro-transactions
La compagnie américaine Achaea LLC, désormais connue sous le nom d’Iron Realms Entertainment, a été la première à introduire, en 1998, la vente de biens virtuels dans un de ses titres, le MUD Achaea, Dreams of Divine Lands. Tout à fait marginal dans un premier temps, ce mode de financement s’est répandu dans les années 2000, s’inscrivant dans un mouvement global de démocratisation des ventes de biens virtuels. Celle-ci était à l’origine majoritairement l’apanage des entreprises asiatiques ; 70% des ventes de biens virtuels étant effectuées dans cette région du monde entre les années 2007 et 2010. Ces données incluent les revenus issus de l’industrie ludo-numérique, qui en constituent une part non négligeable.
Cette pratique peut dégager une véritable manne financière, qui n’est néanmoins pas sans soulever de nombreuses questions.
Eviter les proies faciles
Dans un univers comme celui de l’industrie du jeu vidéo, les mineurs représentent une part importante de l’ensemble des consommateurs, ce qui entraine un certain nombre d’enjeux légaux orientés sur la protection de ces acheteurs potentiels. Ainsi, la très grande accessibilité des biens virtuels liée à des publicités particulièrement ciblées ont valu enquêtes et sanctions à plusieurs firmes, soupçonnées de viser la clientèle infantile.
On pourra ainsi évoquer l’enquête entamée en 2013 par l’Office of Fair Trading britannique (OFT). Cet organisme est le principal outil de protection des consommateurs outre-Manche et son initiative constitue une première européenne. Dans ce cas précis, l’organisme enquêtait sur trois éléments principaux :
- D’une part, les interactions entre les mineurs et le free-to-play étaient examinées, dans le but de déterminer si les enfants étaient ou non fortement encouragés à consommer par le biais de micro-transactions ;
- D’autre part, l’OFT vérifiait si le coût global engendré par ces jeux était clairement précisé au consommateur ;
- Pour finir, l’organisme cherchait à déterminer si ces jeux faisaient l’objet de stratégies commerciales agressives ou susceptibles d’induire le consommateur en erreur.
En pratique, plusieurs firmes ont été avisées de la nécessité d’ouvrir un dialogue avec l’OFT. Le gouvernement britannique reste prudent et cherche à limiter les excès réglementaires sur un sujet en perpétuelle évolution.
Néanmoins, cette initiative a ouvert un débat à l’échelle européenne et elle commence à faire des émules. Il y a quelques mois, en Allemagne cette fois, la compagnie Gameforge a été poursuivie par la Federation of German Consumer Organisations (VZBV). Une des publicités du jeu en ligne Runes Of Magic a été bannie pour avoir pris directement les mineurs pour cibles.
Ces problématiques liées à l’âge des consommateurs et aux modes de financements de certains jeux semblent destinées à se multiplier. Les éditeurs devront, à l’avenir, faire preuve d’une vigilance extrême face aux organismes de protection des droits du consommateur. Ce n’est cependant pas là leur unique défi en ce qui concerne les micro-transactions.
Savoir se faire accepter
Le challenge majeur de ce mode de financement réside dans la manière dont il est perçu par les joueurs. C’est là un point particulièrement épineux. Nombreuses sont les analyses qui ont été faites sur le sujet et les recommandations qui en découlent. Et pour cause… en la matière, les stratégies sont variées. Les impacts sur la communauté plus encore, entre échecs cuisants et belles réussites.
Un dosage sur le fil du rasoir
On pourrait résumer la difficulté principale que rencontrent les entreprises souhaitant opter pour ce mode de financement de la manière suivante : l’existence même d’un système de monétisation in-game est perçue comme génératrice d’injustices. Pour éviter cet écueil, certains éditeurs ont fait le pari réussi de permettre aux joueurs d’acquérir lors de leur progression virtuelle la plupart des items proposés à l’achat dans le cadre d’un système de micro-transactions.
On pensera ici par exemple à League of Legends, de Riot Games. Le célèbre Free-To-Play a la particularité de proposer à ses joueurs un système de double monnaie leur permettant d’acquérir en jouant, et non d’acheter, l’ensemble des objets affectant le gameplay. L’acquisition en jeu de ces items n’est pas, contrairement à ce qui a pu être reproché à d’autres titres, d’une difficulté rédhibitoire. Ce système, équitable pour le joueur, n’en reste pas moins une source de revenus confortable : près d’un milliard de dollars ont été ainsi générés entre Janvier et Octobre 2014. On pourra préciser que l’efficacité de ce modèle tient à la très importante communauté dont bénéficie le free-to-play. Si la majorité des joueurs n’a apparemment pas à se plaindre de l’équilibre proposé par Riot Games, celui-ci ne fait cependant pas l’unanimité auprès des analystes. Certains comme Teut Weidemann considérant que la firme pourrait se permettre une stratégie bien plus agressive, quitte à réduire sa base de joueurs.
A contrario, le système de micro-transactions proposé par Forza 5 a été largement pointé du doigt. L’un des reproches les plus fréquents était que, en dépit de l’existence d’un système de double monnaie, les joueurs se sentaient forcés d’acheter certains items, qu’il était quasiment (voire totalement) impossible de gagner en jeu. La difficulté rencontrée par les joueurs pour obtenir en jouant certaines voitures, ainsi que leur prix d’achat élevé dans le cadre d’un jeu AAA, a généré une grogne qui n’est pas passée inaperçue. En réaction, Turn10 a par deux fois réduit le prix des véhicules (1, 2). Laisser la possibilité aux joueurs d’obtenir par d’autres moyens les items vendus, si ceux-ci affectent le gameplay, semble donc être une solution qui a fait ses preuves… à condition d’opérer aux bons dosages !
Au rang des formules à succès en termes de micro-transactions, on pourra également évoquer les solutions mises en place dans le cadre de Guild Wars 2, développé par ArenaNet et édité par NCsoft. Le système proposé par la firme américaine se limite ici à la vente d’objets cosmétiques (n’ayant donc aucun impact sur le gameplay), ou de commodité, permettant de gagner du temps. L’achat d’objet n’est alors pas perçu comme un passage obligé pour pouvoir progresser, mais comme une option de confort, ce qui semble satisfaire son public.
Autre point important à soulever : si le joueur n’aime pas avoir le sentiment d’être victime d’une injustice, il n’apprécie pas plus les mauvaises surprises touchant à son portefeuille. On pensera ici à la polémique liée à l’introduction d’un système de micro-transactions 8 mois après la sortie de Battlefield 4, alors que la plupart des jeux l’introduisent assez rapidement, parfois même au stade de la Beta. Ici, l’introduction tardive de la monétisation a été mal perçue par le public en raison d’une communication laissant à désirer.
De l’importance de la communication
En effet, s’il est un autre point à prendre en compte en termes de perception par les joueurs, c’est la manière dont l’éditeur communiquera autour de la monétisation.
Là encore on pourra noter que dans la plupart des exemples concluants, une communication claire et exhaustive a été mise en place. On pensera ici encore à ArenaNet, dont le président et co-fondateur Mike O’brien n’a pas hésité à expliquer longuement sur le site dédié à Guild Wars 2 les choix de la firme en terme de monétisation, mais également à répondre à des interviews sur le sujet. Ce positionnement a permis à ArenaNet d’expliquer clairement ses choix et l’intérêt d’un tel système, à la place d’un abonnement mensuel par exemple.
Néanmoins, de longues explications ne sont pas toujours gage de succès, encore faut-il que le positionnement de l’éditeur ou du développeur soit compatible avec les attentes des joueurs. Ainsi, lors du fiasco de Forza 5, évoqué précédemment, la communication n’avait pas pêché en quantité, mais c’est bien le fond du message qui avait posé problème. En choisissant de vendre des biens virtuels à coûts élevés, pour les rendre plus rares et plus précieux, les développeurs ont pris un pari extrêmement risqué, et leur positionnement n’a visiblement pas séduit la majorité des joueurs.
Plutôt que de véhiculer une image de facteur créateur d’inégalités entre les joueurs, de nombreuses sociétés prennent le pari gagnant de communiquer autour des aspects positif de la monétisation, et des « gains » qu’elle peut générer pour tous, y compris pour les joueurs.
Enfin, dans la mesure où le système de monétisation est déjà implanté dans le jeu et même s’il n’est pas encore fonctionnel ou officiellement visible par les joueurs, il semble important de communiquer rapidement sur le sujet, afin d’éviter d’avoir à faire face à des découvertes prématurées. On pensera ici notamment aux spéculations qui ont eu cours lorsqu’un joueur a trouvé un fichier XML lié au futur système de micro-transactions dans le cadre de GTA online (alors en version beta). On pourra noter que Rockstar a toutefois rapidement rectifié le tir en apaisant les esprits deux jours plus tard.
Pour conclure, malgré ces quelques pistes, les écueils sont nombreux sur le sujet, et le récent développement des aspects légaux liés à la monétisation invite développeurs et éditeurs à manier le sujet avec d’autant plus de prudence. La vive réaction de la communauté à la tentative d’introduction de mods payant sur Steam il y a quelques jours démontre encore une fois à quel point les questions d’argent sont sensibles quand elles surviennent inopinément.