Désiré est un jeu d’aventure de type Point&Click, qui a l’originalité d’être en noir et blanc. En effet, le personnage que vous jouez, Désiré, est achromate. Il vous fait découvrir son monde dénué de couleur…et de joie.
De plus, par ses thèmes abordés, le jeu est déconseillé au moins de 16 ans et vous fera voyager dans une oeuvre juste et intimiste.
Sans aller dans la caricature, Désiré nous parle de solitude, mais aussi de voyages et de désirs.
Développé par Sylvain Seccia, Désiré est un jeu atypique qui apporte une nouvelle utilisation du genre Point&Click. Pour en savoir plus sur son créateur, son parcours, l’équipe qui l’accompagne, les thèmes abordés, … Découvrez notre interview de Sylvain Seccia, une rencontre des plus « colorées » !
Aurélie : Bonjour Sylvain, peux-tu te présenter (ton métier, ton rôle sur Désiré) ? Si tu étais une couleur, laquelle et pourquoi ?
Sylvain : Bonjour, je suis développeur depuis plus de quinze ans, j’ai travaillé à mon compte et pour des boîtes sur de nombreux projets : des jeux et des logiciels principalement. J’ai créé des dizaines de mini jeux 2D publiés dans des magazines français et étrangers quand j’étais ado (déjà 20 ans 🙂 ) et quelques jeux 3D plus poussés de 2009 à 2011 en C++ et DirectX 9. Fin 2011, j’ai décidé de me lancer dans un projet plus ambitieux en revenant à mes premières amours : le point-and-click ! J’ai utilisé mes compétences en développement, en écriture et en direction artistique sur ce projet.
Une seule couleur ? Ce serait comme choisir une seule note de musique. Je préfère encore être achromate :).
Aurélie : Tu as créé ton jeu, Désiré, sur ton temps libre. Comment as-tu fait pour gérer ton temps avec ton travail, ta vie personnelle et la nécessité de dormir ?
Sylvain : Dès le début, je m’étais fixé quatre années pour réaliser Désiré pendant mon temps libre. Au final ça a pris presque cinq ans. Je voulais prendre le temps de construire le projet étape par étape, écrire le scénario, trouver l’inspiration, développer le moteur et mettre en place une équipe artistique talentueuse. Ce fut osé de parier sur un tel projet ambitieux, il faut des épaules solides mais j’avais une certitude, la seule : arriver un jour au bout.
Le temps n’est qu’une question de priorité. Je m’en suis donné et du coup j’avais du temps à consacrer les soirs et week-ends. Il n’y a pas de mystères pour faire avancer un projet personnel : il faut savoir sacrifier une partie de sa vie. J’ai rarement empiété sur mon sommeil comme je l’ai fait plus jeune. Je n’aurais jamais tenu aussi longtemps sinon.
Aurélie : Qui a travaillé avec toi sur ce projet ? Comment as-tu réussi à les convaincre ?
Sylvain : Une équipe géniale ! Antoine et Sébastien qui ont bossé sur les décors, Max sur les personnages et animations, et Loïk sur la musique. Ils ont fait un travail époustouflant et ont réussi à reproduire une atmosphère qui m’était chère. Ils m’ont fait confiance dès le début et ont compris parfaitement dans quelle direction je souhaitais m’aventurer.
J’avais posté une annonce sur des forums pour rechercher des artistes. Après quelques contacts et essais plus ou moins concluants, j’ai pu véritablement former une petite équipe en 2013, d’avril à juin, un an après l’annonce. J’avais pondu un scénario de 60 pages avec toutes les énigmes du jeu durant l’année 2012. Ce document détaillé et mon expérience professionnelle dans le domaine du jeu vidéo ont permis de les rassurer et de les convaincre pour participer à l’aventure, malgré le travail énorme à fournir.
D’autres participants ont rejoint l’aventure au fur et à mesure pour nous aider, notamment sur le design des personnages, les traductions et le doublage des voix.
Aurélie : Quel est ton parcours et celui des personnes présentes dans ton équipe (études, expériences professionnelles)?
Sylvain : Pour ma part, je n’ai aucun diplôme ! J’ai tout appris sur le tas. Dans l’équipe on a tous un peu cette fibre autodidacte et le souci du détail. J’ai toujours travaillé de façon très artisanale.
Aurélie : Quels sont les principaux métiers qui furent nécessaires à la création de Désiré ? En quoi consistent-ils ?
Sylvain : Désiré est un jeu qui me tient à cœur pour plusieurs raisons, et l’une d’entre elles est justement le fait que cette œuvre regroupe toutes mes passions : le développement informatique, l’écriture, le cinéma et le court-métrage, la musique et même le dessin. Désiré n’aurait jamais pu voir le jour deux ans auparavant. Il est l’aboutissement d’un long parcours à la fois professionnel et personnel, d’expériences, de rencontres et de connexions. En revanche, ce qui était nouveau pour moi, c’était d’endosser la casquette du chef de projet.
Aurélie : Quels sont vos outils de création/production (crayons, feuilles, red bull, ordi, logiciels) ?
Sylvain : J’aime bien noter mes idées sur papier, écrire les dialogues, griffonner des énigmes pour ensuite tout remettre en forme sur ordi dans un bon vieux document word. Je vais à l’essentiel et je me suis beaucoup inspiré du document rendu public de Grim Fandango pour représenter mes énigmes sous forme de schémas, qui a d’ailleurs donné vie à Adventure Game Engine et à son système de boîtes nodales pour scripter les énigmes et leurs interactions.
J’ai donc développé mon propre outil et moteur pour concevoir des jeux point-and-click et je l’ai mis à disposition gratuitement sur mon site perso. J’ai également utilisé Unity pour développer le runtime afin que Désiré soit compatible multi-plateforme.
Du côté des artistes, Max a travaillé sous flash et difficile d’échapper à Photoshop pour tous les membres de l’équipe.
On vit presque tous dans des régions différentes, nous avons beaucoup communiqué via facebook pour les animations, par téléphone et échangé nos fichiers et assets par l’intermédiaire d’un serveur ftp privé. Rien de révolutionnaire…
Aurélie : Quels furent tes moyens de financement ?
Sylvain : Ayant admirablement échoué la campagne Indiegogo de 2014, j’ai décidé de financer le projet de ma poche pour concentrer l’énergie sur le développement. Cela dit à aucun moment je me suis mis en danger financièrement, ç’aurait pu plomber l’ambiance et desservir le projet. Il fallait qu’on avance sereinement.
Aurélie : Décris-nous Désiré en trois mots.
Sylvain : Désirs, solitude et voyage.
Aurélie : Tu as pris le risque de faire un Point&Click… Pour adultes ! N’était-ce pas une folie ? Pourquoi un tel amour pour ce genre de jeu et de sujets ? En quoi servent-ils Désiré ?
Sylvain : Gamin, j’ai joué à des tonnes de point-and-click sur Amiga et PC et j’avais cette envie de créer mon propre jeu d’aventure depuis belle lurette. Entre temps, j’ai un peu grandi, je me suis détaché des jeux vidéo pour développer des outils, et puis je me suis intéressé à d’autres sujets, j’ai découvert d’autres univers, des écrivains, j’ai fait des rencontres et tout ceci m’a naturellement conduit vers la concrétisation de ce projet atypique. Partir sur un travail de quatre ans était déjà une folie en soi, je suis simplement allé jusqu’au bout de ma folie.
Aurélie : Tu abordes des thèmes aussi variés que fondamentaux comme l’amour, la sexualité, le sens de la vie… Mais aussi l’abus au travail, le féminisme, le harcèlement… Sur quels critères as-tu choisi de les mettre dans ton histoire ?
Sylvain : Je les ai choisis car ce sont des thèmes si peu abordés et mis en scène dans le jeu vidéo. J’ai voulu créer une œuvre différente, plus intimiste, plus risquée et marquée par ses personnages dérangeants sans pour autant négliger le côté ludique. Contrairement à un film où le spectateur reste passif, le joueur est en quelque sorte complice même si l’histoire est déjà écrite. C’était intéressant de jouer avec cet aspect propre au jeu vidéo.
Aurélie : Tu vas parfois assez loin (par exemple le morpion et la bougie), as-tu censuré des idées ?
Sylvain : J’ai dû retirer des passages parce que je ne les trouvais pas pertinents après coup, mais jamais pour des raisons d’autocensure. C’est le pire qui puisse arriver à un auteur.
Aurélie : Quel est pour toi, le thème le plus important ? Pourquoi ?
Sylvain : Le thème central est la solitude : un des fardeaux de notre société progressiste. C’est le point commun entre la majorité des personnages rencontrés par Désiré tout au long de sa vie. L’homme devient de plus en plus individualiste, il n’a jamais été aussi entouré et invisible à la fois, il en vient même à se photographier lui-même dans tous ses états pour exister.
Aurélie : Quelles sont tes inspirations pour la direction artistique (musique et image) ? À partir de quelles informations les artistes ont-il travaillé ?
Sylvain : Pour la musique, j’ai pianoté quelques morceaux au synthé pour que Loïk puisse s’en inspirer. Je n’avais pas réellement de référence, je recherchais un son de piano minimaliste improvisé pour éviter une structure trop carrée. Il fallait faire ressortir la solitude et la mélancolie du personnage principal.
Pour le graphisme, je me suis inspiré du film « La traversée de Paris » et de ses jeux de lumières dans les rues sombres. Pour le style cartoon, nous avons réalisé beaucoup d’essais avant d’obtenir un résultat convaincant.
Je savais exactement ce que je recherchais artistiquement, je l’avais en tête. La difficulté pour moi fut de transmettre ma vision aux artistes qui ont su parfaitement la reproduire.
Aurélie : Tu as gagné le prix pour le son au concours d’Evry Games City et pour le scénario au Casual Connect de Singapour. Que t’apportent de telles récompenses ?
Sylvain : Ça fait surtout plaisir pour l’équipe. Ça permet aussi d’ouvrir de nouvelles portes et d’avoir des contacts pour continuer la promotion du jeu. Par exemple, l’attribution des deux prix a grandement facilité la participation de Désiré à l’E3 2016.
Aurélie : Désiré est sorti sur Steam, iOS et Android. Sur quelle plateforme a-t-il le mieux marché ? Pour quelles raisons ?
Sylvain : Pour l’instant, les ventes engendrées par Apple sont loin devant les autres stores, grâce à leur mise en avant sur le store français. Désiré est resté une semaine dans le Top 5 des jeux iPad. Steam arrive en deuxième position, puis Google Play et enfin Windows Store quasi inexistant. Je n’ai pas assez de recul pour tirer davantage de conclusions, le jeu n’est en ligne que depuis trois semaines.
Aurélie : Sur cette création, de quoi es-tu le plus fier ? As-tu un regret ?
Sylvain : Non je ne regrette rien… Je suis fier d’avoir concrétisé un projet aussi ambitieux sur un délai aussi long, et d’être satisfait de l’œuvre. L’équipe est restée solidaire jusqu’au bout malgré les difficultés que l’on rencontre souvent dans le développement d’un jeu indépendant sans structure. Il faut être passionné pour y arriver ! J’en garderai un excellent souvenir.
Aurélie : Un bon et un mauvais souvenir dans ta carrière ?
Sylvain : Pas évident de piocher un bon souvenir comme ça… alors je vais choisir le premier. La publication de mon tout premier jeu vidéo en 1996 dans un numéro de PC Fun. À l’époque j’avais expédié mon jeu sur une disquette 3″1/2. Un mois plus tard, quand je suis revenu du bureau de tabac, j’ai déchiré le cellophane du magazine, et je tournais les pages dans l’espoir de voir apparaître le nom du jeu dans la liste des contributions du CD-Rom. Hourra !
Parmi les mauvais souvenirs, il est toujours difficile de devoir stopper l’activité de sa propre société parce qu’elle n’est pas rentable. Ce fut le cas en 2008 lorsque je développais un langage de programmation et un IDE. Ce qui est dur c’est de mettre un terme au rêve qu’on s’était fixé.
Aurélie : Le jeu vidéo est-il un art à part entière ?
Sylvain : Un bien grand mot. Est-ce important ? Je préfère parler d’œuvres artistiques. Je vois le jeu plutôt comme un mélange de plusieurs arts. Son point fort c’est l’interaction qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.
Aurélie : Comptes-tu faire un autre jeu ?
Sylvain : Non 🙂
Aurélie : Un conseil pour les futurs développeurs indépendants ?
Sylvain : Prenez le temps d’observer ce qui existe déjà et créez votre propre univers !