Qui a dit que jeu vidéo et éducation ne font pas bon ménage ? Romain Vincent, enseignant d’histoire-géographie, utilise le jeu vidéo en classe ! Voici un cours que de nombreux élèves auraient voulu avoir… Mais une telle démarche ne se fait pas sans réflexion ni préparation. Découvrez les jeux utilisés et une partie de ses démarches. Romain est aussi chroniqueur YouTube sur JVH, une émission qui parle de jeu vidéo et d’histoire. Ci-dessous, quelques liens utiles, suivis de notre interview.
Sur Nesblog : http://www.nesblog.com/msieur-quand-est-ce-quon-joue/
Article sur vounousils : http://www.vousnousils.fr/2015/02/25/serious-gaming-les-jeux-videos-une-porte-dentree-vers-lhistoire-563550
Actualité sur Twitter : https://twitter.com/romainhg
Chaîne YouTube : https://www.youtube.com/user/JNSretro
Aurélie Knosp : Bonjour Romain :). Peux-tu te présenter ? Quel était ton rêve d’enfant et ta plus grande ambition de joueur ?
Romain Vincent : Bonjour Aurélie, je m’appelle Romain Vincent et je suis enseignant en histoire-géographie dans l’académie de Créteil.
Je crois qu’avec mes camarades de primaire nous avions tous eu l’ambition folle de devenir footballeur professionnel. Manquant d’un certain nombre de choses, dont le talent, je me suis finalement rabattu sur le très-en-vogue métier de « testeur de jeu vidéo ».
Après quelques vagues projets de fanzines avortés, je me suis laissé tenter par la seule matière où je me débrouillais à peu près au lycée : l’Histoire-Géo. L’ambition de l’enseigner n’est venue qu’à l’université.
Aurélie : Quels sont les éléments déclencheurs de ta passion pour les jeux vidéo et pour l’histoire ?
Romain : Je ne me souviens pas vraiment d’un déclic pour les jeux vidéo, j’ai découvert mes premiers jeux (Lazarian !) avec l’achat d’un Commodore 64 par mon père.
Pour l’Histoire, c’est une bonne question. Être baigné dans l’héroic-fantasy médiéval via Warcraft II, découvrir les croisades et les Templiers en jouant aux Chevaliers de Baphomet ou construire des villes dans Sim City sur SNES m’a donné une certaine appétence pour l’histoire-géographie ? Peut être… Avoir d’excellents profs par la suite n’a fait que confirmer cette attirance !
Aurélie : Tu enseignes l’histoire et la géographie, et tu utilises le jeu vidéo en classe. Quels titres et supports utilises-tu et comment les choisis-tu ?
Romain : Pour des raisons matérielles évidentes, j’utilise uniquement les ordinateurs de l’établissement.
Pour le moment, j’ai utilisé Sim City en 6eme, Stronghold et Assassin’s Creed en 5ème ainsi que le serious game « Halte aux catastrophes ». Cette année, j’ai testé « Sauvons Le Louvre » de The Pixel Hunt avec mes 3ème.
Je les choisis, évidemment en fonction des sujets abordés, mais également au niveau du gameplay : la grande majorité des élèves doivent pouvoir maîtriser le jeu dans le temps court de la classe. C’est pour cela que j’ai choisi Stronghold, bien plus accessible qu’Age of Empire, Lord of the Ream, Civilization ou Crusaders Kings.
Pour la séance avec Assassin’s Creed, c’est différent. Ne pouvant leur donner la manette à cause de la difficulté du gameplay et la violence du jeu, j’ai préféré monter une vidéo à l’aide de mes propres séquences de jeu.
JVH en classe – Le cas Assassin’s Creed :
Aurélie : Quel a été le déclic pour utiliser ta passion du jeu vidéo pour enrichir ta pratique professionnelle ?
Romain : Je me souviens d’une anecdote lors de ma première année d’enseignant.
Je demandais à ma tutrice comment rendre mes cours plus « ludique », sans forcément penser au jeu vidéo. La réponse fut sans appel : « Ludique ? Tu n’y penses pas ?! L’Histoire, c’est sérieux ! »
Heureusement, je suis tombé sur un blog de pionniers en la matière : Le réseau Ludus : http://www.lepetitjournaldesprofs.com/reseauludus/.
La séance d’Yvan Hochet sur Sim City m’a donné le déclic nécessaire.
Aurélie : Décris-nous une séance type d’utilisation d’un jeu (Assassins’s Creed, Stronghold, Sim City…) ?
Romain : Mon but prioritaire est de faire comprendre aux élèves que le jeu vidéo est un medium, à l’instar d’un roman ou d’un film, et qu’à ce titre, il délivre une certaine représentation de l’Histoire.
Ainsi, toute séance de jeu en classe doit être suivi d’un debriefing avec les élèves : à l’aide de documents historiques, on décortique le jeu, comme on l’a fait avec Stronghold : est-ce que le jeu correspond à la réalité historique ? Pourquoi les développeurs ont modifié l’Histoire ? Ce sont des questions intéressantes à se poser avec eux.
JVH en classe – Stronghold en 5ème :
Aurélie : Quelle est la préparation d’un tel cours et son l’évaluation ?
Romain : Pour ce type de séance, le temps de préparation est important : il faut déjà…jouer, et re-jouer ! Le temps de jeu doit être évidemment conséquent, afin d’explorer toutes les possibilités qui s’offrent aux élèves.
Aurélie : Quelle est la place de l’enseignant ?
Romain : L’introduction du jeu reconfigure complètement la place de l’enseignant : les séances avec des jeux vidéo « classiques » comme Sim City et Stronghold nécessitent ma présence permanente auprès d’eux : je sers de « notice humaine » pour les guider dans la prise en main du gameplay.
A l’inverse, quand j’utilise un Serious Game, c’est à dire un jeu pensé pour délivrer un enseignement, je trouve beaucoup moins ma place : l’élève est beaucoup plus guidé par le soft, et souvent privé de sa liberté de décisions.
Aurélie : Connais-tu d’autres exemples de personnes qui utilisent le jeu vidéo dans le milieu scolaire (je pense notamment à ton “collègue” qui utilise Journey pour développer le langage) ?
Romain : En dehors du réseau Ludus, qui propose d’autres formes de jeu (de rôle, de société), que le jeu numérique, les enseignants s’approprient de plus en plus ce medium : Minecraft est de plus en plus utilisé en cours de Technologie par exemple. L’académie de Rennes, via les travaux de Stéphane Cloatre en propose même des formations à destination des enseignants.
Aurélie : Quels sont les avantages et inconvénients d’utiliser le jeu vidéo en classe ?
Romain : On avance souvent la motivation induite par le jeu comme le principal avantage.
C’est un apport qui, s’il existe certainement, est à relativiser. A l’annonce de l’activité, l’effet est évidemment immédiat : « Whaouuuu on va jouer ! », mais il faut relativiser l’impact global.
S’ils sont en partie joueur, certains élèves ne le sont pas et peuvent se retrouver perplexe face à un enseignement ludique, sans compter ceux qui, de par leur culture ludique ou leur équipement à la maison, ont du mal à s’approprier le gameplay.
De plus, il peut arriver que les élèves ayant le plus d’heures de jeu au compteur, n’accrochent pas à une utilisation détournée de leur medium préféré. Par exemple, le manque de fun d’une grande partie des serious games peut être vite remarqué par un joueur expert qui n’aurait ainsi que peu d’intérêt à y jouer.
Aurélie : As-tu rencontré des blocages au niveau de l’équipe pédagogique ou des parents ?
Romain : Aucun. Je ne rencontre d’ailleurs aucune réaction des parents : ni positive, ni négative. Je pense que la trace écrite produite en cours, à la suite de ces séances ludiques , rassure les parents, et leur fait comprendre que ce sont de vraies séances de travail, avec connaissances et compétences acquises à la fin.
Aurélie : Si tu avais budget et matériel illimité, que souhaiterais-tu faire ?
Romain : Je ne sais pas si je changerai grand-chose au final… Avoir des moyens illimités serait sûrement le meilleur moyen de faire n’importe quoi. Après, je ne peux m’empêcher de penser à un cours de géographie à l’aide de City Skylines, avec un ordinateur par élève et un objectif spécifique pour chaque…
Aurélie : Utiliser le jeu vidéo, est-ce une aide pour lutter contre le décrochage scolaire ? Si oui, comment et pourquoi ?
Romain : Je te répondrai là dessus l’année prochaine car nous sommes en train de réfléchir à un projet de médiation par le jeu vidéo, avec un public d’élèves en difficulté.
Je pars avec le principe que l’activité ludique permet de libérer la parole et ainsi, avec un jeu axé narration, permettant d’aborder des sujets touchant à l’adolescence ou à la société en générale, on pourrait peut être obtenir des résultats intéressants.
Aurélie : Par ailleurs, tu as une chaîne YouTube JVH (pour Jeu Vidéo Histoire), quand, pour qui et pourquoi as-tu commencé cette chaîne ?
Romain : J’ai créé cette chaîne en 2012.
En fait, je n’ai pas toujours suivi l’actualité du jeu vidéo, j’ai eu un black-out quand j’étais à la fac, jusqu’en…2007 environ.
C’est en découvrant les chroniques du Nesblog, et surtout les conférences du Stunfest, que j’ai pu voir que des chercheurs travailler sur le jeu vidéo.
M’est venue ensuite l’idée d’allier mes deux passions, l’une actuelle, l’autre retrouvée : l’Histoire et les Jeux vidéo.
La sortie de « Sniper Elite V.2 », qui proposait dans une de ses missions de tuer Adolf Hitler « pour mettre un terme à la seconde guerre mondiale » me donnait le prétexte parfait pour démarrer ma chronique.
JVH #1 – Une balle peut-elle changer l’histoire :
Aurélie : Réalises-tu cette émission tout seul ? En combien de temps ?
Romain : Je l’ai longtemps réalisé seul.
Etant rapidement limité par mes capacités de montage, le 3ème épisode sur Assassin’s Creed a été réalisé conjointement avec Charles, un de mes amis proches.
Ensuite, j’ai progressivement travaillé avec Cosmographik, développeur de Type Rider & Vandals, ainsi qu’avec Sylvain et Nico du Nesblog. Ils m’apportent beaucoup et je les en remercie.
JVH #3 – Assassin’s Creed :
Aurélie : Comment procèdes-tu pour concevoir l’émission (Écris-tu toute la voix off, refais-tu les jeux, sur quels critères choisis-tu les thèmes) ?
Romain : Il n’y a pas vraiment de règle dans la conception de l’émission.
Certaines sont complètement opportunistes (Sniper Elite V2), d’autres font écho avec l’actualité (Soldats Inconnus pour JVH#4), avec mes pratiques ludiques du moment (Wolfenstein The New Order pour JVH#5) ou les jeux que j’ai en stock depuis longtemps (Medal Of Honor pour JVH#5 également).
Certains jeux m’ont été conseillés par mes abonnés, JVH#6 (en plein mixage pendant la rédaction de cette interview :p) en est un bon exemple.
Vu le montage de l’émission, il n’y a aucune improvisation, tous les textes sont évidemment écrits à l’avance.
J’essaye de faire les jeux au maximum, si je ne les finis pas tous, j’essaye au moment d’y jouer au moins quelques heures chaque.
JVH#5 – Seconde Guerre Mondiale et tabous vidéoludiques :
Aurélie : Comment définis-tu serious games, serious gaming, et jeu vidéo éducatif ? Selon toi, sont-ils des bons moyens pour enseigner ?
Romain : Difficile exercice de définition : j’aurai tendance à dire que Serious Games et « jeu vidéo éducatif » sont synonymes. Ce sont des softs qui ont été conçus avec un autre but que le seul divertissement et… ça serait peut être là sa faiblesse !
Quand on se décide à utiliser un « jeu sérieux » en classe, cela devrait être pour profiter de l’aspect ludique du jeu. Or, dans de nombreux cas, cet aspect est souvent délaissé. Ainsi, on se retrouve avec des jeux peu ludiques, des « jeux sans-jeu » en quelques sortes.
Alors attention, il y en a des biens (Sauvons Le Louvre, Halte aux catastrophes, Construits ta LGV), ne caricaturons pas trop vite.
Par contre, pour l’enseignant, l’utilisation de SG peut s’avérer un peu complexe en classe : vu que ces jeux incorporent, dans leur game design, tout l’aspect éducatif et sérieux du cours. Quelle doit être la posture de l’enseignant dans ce type de séance ? Serait-il de trop ? Un bon jeu vidéo à l’école ne serait-il pas un jeu qui prévoit la place de l’enseignant ? Un jeu qui laisserait le prof insérer son sérieux ?
Aurélie : Enfin, un conseil pour quelqu’un qui voudrait utiliser le jeu vidéo à des fins pédagogiques ?
Romain : Il me semble déjà important de ne pas se forcer à utiliser une pédagogie simplement parce qu’elle serait « à la mode » ou qu’elle serait un remède contre l’ennui des élèves. Si on a un effet « whahou » quand on annonce aux élèves la séance ludique, il peut vite disparaître si la séance n’est pas maîtrisée et dirigée par l’enseignant.
Un enseignant doit être à l’aise avec sa pédagogie pour être efficace. Ca semble évident comme idée, mais à une époque où les injonctions à utiliser certains outils ou pratiques pédagogiques sont fréquentes, j’aime le préciser.
Pour finir, il est nécessaire d’accumuler les heures de jeu afin de maîtriser tous les aspects du soft et anticiper les différentes possibilités offertes aux élèves en cours de partie.
Mon conseil est donc de JOUER ! Une activité de travail bien agréable mais terriblement chronophage…