Fibre Tigre et Michael Peiffert forment un beau duo du jeu vidéo. Aussi différents que complémentaires, les deux créateurs d’Out There continuent leur belle aventure avec le développement de Sigma Theory. Dans cette interview, découvrez la richesse de leur personnalité et leurs prochains jeux.
Aurélie : Bonjour Fibre, bonjour Michael, présentez-vous en une phrase ! Si vous étiez un personnage historique ou une planète, vous seriez qui/quoi? Pourquoi ?
Fibre : Je suis le game designer des projets de Mi-Clos Studio. Si j’étais une planète, certainement Pluton : distant, froid, pas vraiment ici, exclu officiellement de la typologie de mes pairs.
Michael : Je suis le directeur créatif et fondateur de Mi-Clos Studio. Je serais plutôt Neptune car c’est aussi un dieu badass qui apparaît lors des tempêtes en mer avec une fourche pour couler les bateaux.
Aurélie : Quel a été l’élément déclencheur pour fonder Mi-Clos Studio et travailler ensemble sur Out There ?
Fibre : De mon coté, j’ai rencontré Michael à la sortie d’une conférence sur les fictions interactives. Il m’a proposé de réfléchir à un jeu à la Dune, ce fut Out There.
Michael : Après mon premier jeu Space Disorder, j’avais envie de travailler sur un jeu de science-fiction et j’avais besoin d’un scénariste pour mettre des mots sur mes dessins.
Aurélie : Quel est votre parcours (études, projets personnels, expériences professionnelles) ?
Fibre : Ingénieur bâtiment.
Michael : Études d’art graphiques traditionnels (peinture, photographie…), puis spécialisation infographie. Ensuite j’ai écumé les agences de com’ où je suis devenu directeur artistique pour de grandes marques de luxe, automobiles… Au bout de 10 ans, je suis revenu à mes rêves d’enfant : faire des jeux vidéo.
Aurélie : Quels sont vos outils de création (crayons, feuilles, eau pétillante, ordi, logiciels) ?
Fibre : Word.
Michael : Papier, encre de chine, encres aquarelles, Photoshop, Illustrator, Google Drive, Skype et huile de coude.
Aurélie : En quoi consiste l’écriture pour un jeu vidéo ? Quelles sont les similitudes et différences avec les livres dont vous êtes le héros et les jeux de rôle ?
Fibre : Il y a de quoi en parler pendant des heures. Disons que c’est un processus qui se fait à la fois en amont du jeu mais en lien avec tous les aspects du jeu. Il faut en dire le minimum tout en connaissant très bien son sujet. Ne pas vouloir exister dans l’histoire qu’on livre, mais plutôt imaginer son futur joueur apprécier les outils que vous lui confiez.
Aurélie : Quel est votre leitmotiv ?
Fibre : Continuity is Power.
Michael : C’est de la merde.
Aurélie : Sur Out There, de quoi êtes vous le plus fier ?
Fibre : Que PocketTactics ait écrit « Au final, Out There est un jeu qui parle d’amour. »
Michael : Ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir fait un hit mondial depuis ma petite maison de campagne, OKLM. Et de pouvoir vivre de ma passion.
Aurélie : Avez-vous un regret sur votre premier jeu ?
Fibre : Avec Michael je n’aurai aucun regret, quoi qu’il nous arrive dans le futur, car nous avons toujours fait le maximum pour tout faire bien et avec sincérité. Pas pour réussir, justement, mais pour n’avoir aucun regret en cas d’échec.
Aurélie : Vous travaillez actuellement sur Sigma Theory, comment s’est passé le passage à un nouveau projet ? Quel a été le point de départ ? Qu’apporte les nouveaux arrivants, Lena et l’équipe de BlackMuffin ?
Fibre : Michael m’a demandé d’y réfléchir deux semaines avant la sortie d’Out There. Un jeu de stratégie autour de l’Omega. Après 1-2 ans de travail, il m’a validé le concept.
Michael : Lena sort tout juste de l’école et s’occupe de toute les choses que nous n’avons plus le temps de faire mais qui sont quand même importantes : gestion de projet, QA, community management et relations presse. BlackMuffin apporte sa patte graphique unique et a les capacités de produire une quantité importante d’éléments graphiques à la hauteur de l’ambition du projet.
Aurélie : Quel est le background et dans quel contexte se déroule Sigma Theory ?
Fibre : C’est un jeu d’espionnage et de diplomatie dans un futur proche. Il y a une course à la technologie dans un contexte de guerre froide qui se réchauffe progressivement.
Aurélie : Durant Evry Games City 2, vous avez gagné le prix du gameplay. D’après vous, quelle est sa force ?
Fibre : Nous essayons, comme dans Out There, de nous éloigner du schéma simpliste disant que toutes les situations peuvent se résoudre par le meurtre et la violence.
Michael : Comme pour Out There, nous essayons de ne pas se calquer sur une typologie de jeu existante mais plutôt broder le gameplay autour de l’expérience que l’on veut faire vivre au joueur.
Sigma Theory va mettre le joueur dans la peau d’un personnage politique avec du pouvoir et une liberté d’action qui peuvent changer la face du monde.
Aurélie : Le jeu est-il classable dans une catégorie, laquelle (ou proche) ? Expliquez-nous les principales briques de gameplay ! Et si vous deviez définir le jeu en trois mots ?
Fibre : Je dirais qu’il est entre civilization et un jeu d’aventure très narratif. La majeure partie du temps, on est sur une carte tactique du monde, à dispatcher des agents, à négocier des traités, des accords avec des groupes d’influences, à préparer des opérations de terrain.
Michael : En trois mots : Guerre froide futuriste.
Aurélie : Quelles sont vos sources d’inspiration pour la création des agents (fictifs ou réels) et de la direction artistique (image et son) ?
Fibre : Il y a dix pays jouables et cinq agents par pays qui sont des personnages soit réels (héritière du trône de chrysanthème au Japon, une femme d’affaires turque puissante, une juge chinoise à la Haye) soit décrivant un aspect de l’histoire du pays : une indépendantiste basque pour la France, un réfugié tibétain en Chine…
Michael : Avec BlackMuffin, on essaye de créer chaque agent comme s’ils étaient des personnages de série TV. Il faut qu’ils aient du charisme et que l’on saisisse leur caractère au premier coup d’oeil.
Aurélie : En quoi des séries comme House Of Cards et Homeland vous inspirent-elles ?
Fibre : Je n’aime pas les séries TV.
Michael : Pour moi, ces séries furent l’élément déclencheur qui m’a décidé à faire un jeu d’espionnage/politique. L’envers du décor de la scène politique ou les problématiques complexes de la diplomatie sont des choses qui me fascinent. Ce sont aussi des séries avec une mise en scène austère mais qui arrivent à retranscrire cette tension où une réponse mal choisie peut avoir de lourdes conséquences.
Aurélie : Le S grec pour Sigma… et/ou le S pour Singularité technologique ? Qu’entendez-vous par ces termes ?
Fibre : C’est exactement ça : le S de la singularité technologique. Un des thèmes principaux est que la technologie évolue plus vite que la capacité de l’humanité à la dominer. Si demain nous pouvions devenir immortels sans avoir la capacité à gérer la démographie, nous serions en enfer au bout de sept jours.
Aurélie : Atmosphère très sombre, conflits mondiaux, horloge de l’apocalypse, meurtres… N’êtes-vous pas un peu (beaucoup) défaitistes ? Dans Out There, l’humanité est réduite à un homme, ici à quatre agents secrets… Pensez-vous réellement que notre avenir tient en si peu de mains ?
Fibre : Nous tentons de renouer avec un genre que les séries TV, justement, dans une logique de saisons et de pérennité, semblent avoir oublié : la tragédie. Dans notre trailer le héros avoue qu’il va essayer d’être « le dernier à perdre ». Mais c’est un fait, la guerre est une tragédie dans le sens où tout le monde perd de façon inexorable.
Michael : La réalité, c’est que l’humanité a toujours fait la guerre. C’est dans la nature de l’homme. Aujourd’hui, il y a des émeutes pour avoir un exemplaire gratuit de la version collector de Call Of Duty. La boucle est bouclée :).
Aurélie : Le jeu vidéo est-il le meilleur moyen de lutter ou d’illustrer vos peurs ? Ou juste un loisirs où vous mettez tout ce qui vous vient à la tête pour faire tourner celle du joueur ?
Fibre : C’est d’abord un moyen de gagner de l’argent. Ensuite c’est un territoire vaste, assez méprisé par les intellectuels d’avant-garde. Nous avons donc le champ libre et tout à faire. C’est excitant.
Michael : J’aime le pop art. C’est à dire, des oeuvres populaire, accessibles au tout venant, mais qui peuvent délivrer un message de manière subtile. Le jeu vidéo est le pop art d’aujourd’hui.
Aurélie : Avec Mi-Clos, vous travaillez aussi sur Void and Meddler et Antioch. Dites-nous quelques mots sur ces deux autres projets. Avec qui travaillez-vous et sur quelles tâches ?
Fibre : Pour Antioch, c’est un jeu d’enquête criminelle en coopération, essentiellement textuel. Les retours joueurs sont excellents.
Michael : Sur Antioch, FibreTigre a écrit toute la fiction interactive. Tâche délicate car c’est un ‘livre dont vous êtes le héros’ qui se joue à deux joueurs, ce qui n’a jamais été fait avant. Le jeu est développé en collaboration avec le studio français Midnight Mood, tout fraîchement créé. J’interviens en tant que directeur créatif et publisher.
Nous travaillons aussi dans la même configuration sur Out There Chronicles, une fiction interactive basé sur l’univers d’Out There amis qui se passe des millions d’années avant.
Ces deux jeux sortiront cette année.
Void & Meddler est un point & click cyberpunk épisodique développé par no CVT et BlackMuffin et dont je suis publisher. Le deuxième épisode est en cours de finalisation et sortira cet été.
Aurélie : Le jeu vidéo est-il un art à part entière ?
Fibre : Je préfère réfléchir à comment faire de meilleurs jeux qu’à cette question.
Michael : C’est même mieux que ça: c’est le carrefour des arts et de la technologie.
Aurélie : Un conseil pour monter son propre studio ?
Fibre : Montez votre structure sociale le plus tard possible.
Michael : Beaucoup de jeunes veulent faire des jeux car ça paraît cool. En réalité c’est une souffrance permanente, que le succès se présente ou pas.
Donc, ne créez pas de studio si vous n’aimez pas souffrir.
Aurélie : Qu’est ce qui vous pousse à continuer dans le domaine du jeu vidéo ?
Fibre : Ça marche pour le moment. Je prévois de quitter mes activités au plus tard dans 2 ans et demi.
Michael : Je souffre beaucoup, mais je souffre librement.
Pour en savoir plus :
Ca m’a tout l’air sympa. Je n’avais pas entendu parlé de Out There, je vais jeter un oeil ^^.