La version « consommateur » de l’Oculus Rift a été officialisée cette année. Le casque sera disponible au cours du premier trimestre 2016, au prix de 699 euros (hors frais de port). Une somme rondelette qui en aura fait frémir plus d’un… Et pourtant la sortie de l’Oculus Rift semble attendue comme le messie. Plutôt que d’apporter un jugement trop rapide sur la situation, nous avons interrogé plusieurs développeurs qui travaillent sur la VR (Virtual Reality). Après avoir découvert OlivierJT et Gaeldk, nous vous présentons Antoine.
Aurélie : Bonjour, une petite ligne pour te présenter ?
Antoine : Je suis développeur et rédacteur pour le site EnterTheRift depuis deux ans, et depuis peu développeur réalité virtuelle chez Alstom/General Electric.
Aurélie : Pourquoi t’es-tu lancé dans le développement de jeux sur Oculus Rift ? Sans la VR, développerais-tu des jeux vidéo ?
Antoine : J’avais besoin d’un certain temps de réflexion pour trouver un concept de jeu sympa pour les plateformes classiques, tandis que pour la réalité virtuelle les idées fusaient naturellement, cela donnait presque le vertige. Toutes les idées étaient motivantes et intéressantes à explorer. C’est ainsi que j’ai su que je voulais développer pour la VR.
Oui, j’avais commencé à développer quelques prototypes de jeu en réalité augmentée, avant de découvrir la réalité virtuelle.
Aurélie : Sur quel(s) projet(s) Oculus Rift as-tu travaillé ou travailles-tu actuellement ? Es-tu seul sur ce(s) projet(s) ?
Antoine : Au sein du Cap’ Savoir je travaille en petite équipe sur des outils pédagogiques pour le personnel d’Alstom/General Electric. Sur mon temps libre, je développe en binôme avec Aerosteak, le sound designer. J’ai publié plusieurs courtes démos pour l’Oculus Rift DK1 et DK2 (un jeu d’enquête en point and click, un shooter pour apprendre à faire des cocktails, un RTS dans une colonie spatiale et un jeu à thème Halloween). Je commence à développer en ce moment pour des casques Oculus Rift CV1 (version consommateur) et HTC-Vive, qui arrivent bientôt.
Aurélie : Avec quels outils/moteur développes-tu ton jeu ? Est-ce un coût important en termes de temps, d’apprentissage et de moyens matériels (casque, ordinateur puissant…) ?
Antoine : Je développe avec le moteur de jeu Unity 3D, avec lequel je code en C#. Le coût en temps est bien sûr élevé si l’on veut terminer un projet de qualité, comme pour toutes autres plateformes.
Mais l’apprentissage du développement pour la réalité virtuelle est, d’un point de vue technique, très rapide. Certains tutoriels sur Youtube montrent comment créer son premier niveau basique pour l’Oculus Rift en trente minutes. Commencez par des projets courts, puis complexifiez-les au fur et à mesure de votre apprentissage, c’est la meilleure façon de rester motivé. On travaille aussi beaucoup plus rapidement en équipe. Et je me suis rendu compte qu’il n’est pas difficile de trouver des personnes prêtes à travailler avec nous, tellement la réalité virtuelle est intéressante.
S’il faut un bon ordinateur pour apprécier pleinement les jeux en réalité virtuelle, ce n’est pas forcément nécessaire pour les développer. Je travaille depuis deux ans sur un ordinateur portable qui n’est pas destiné au gaming, et cela a d’ailleurs ses avantages pour l’optimisation des jeux : si mon jeu tourne sur mon ordinateur, alors il tournera sur la plupart des configurations. Il
vous faut par contre un ordinateur puissant si vous voulez créer un jeu avec de très beaux graphismes.
Disposer d’un casque de réalité virtuelle est bien sûr fortement recommandé, mais à nouveau rien n’est obligatoire. La plupart des développeurs travaillaient déjà sur leurs projets en attendant de recevoir leur DK1. Si les moyens vous manquent vraiment, vous pourrez tester votre jeu pour faire des modifications sur le casque d’un ami ou d’une association.
Aurélie : Quelles sont les qualités requises pour travailler des projets en VR (pour ta spécialité du moins) ?
Antoine : La capacité d’apprentissage en autodidacte est la première qualité qui me vient à l’esprit. Il existe aujourd’hui peu d’écoles pour apprendre à développer pour la réalité virtuelle.
Typiquement, vous trouverez quelques rares tutoriels en ligne, vous poserez quelques questions sur des forums, mais le plus souvent vous devrez trouver des solutions à des nouvelles problématiques en vous basant sur les rares pistes que je viens de citer et en tirant vos propres conclusions.
Une bonne observation ensuite. Pour savoir quels éléments rendent bien en VR, il vous faudra d’abord tester de nombreuses démos, écarter celles qui constituent une expérience désagréable et garder celles qui au contraire sont magiques. Vous aurez alors une bonne idée de ce qui donnera envie aux joueurs de vivre votre univers.
Enfin, une très grande motivation. Développer pour une technologie encore peu répandue, parfois ridiculisée dans les médias, et qui pourrait ne pas être adoptée par le grand public d’ici des années peut être décourageant. Il faut avoir une volonté d’acier et être véritablement passionné pour s’accrocher.
Aurélie : Qu’apporte la VR à l’expérience du joueur (dans ton cas mais tu peux citer d’autres jeux) ?
Antoine : L’immersion du joueur dans un rôle et l’univers que nous développons est évidemment l’apport principal de la réalité virtuelle. Le joueur n’observe plus le jeu à travers une fenêtre, il en devient acteur. Aujourd’hui il peut voir l’univers virtuel comme s’il y était téléporté, d’ici les prochains mois il pourra s’y déplacer en marchant et interagir avec en faisant les gestes réels. De cette immersion découlent de nombreux avantages intéressants mais qui ne sautent pas forcément aux yeux si l’on n’a pas essayé la VR : une meilleure observation des détails, un meilleur sens de l’orientation, une meilleure concentration sur l’action et l’environnement, un meilleur sens des distances et des échelles, une possibilité d’apprendre en reproduisant les gestes réels…
Aurélie : Que penses-tu du rachat du casque par Facebook ? Cela change-t’il tes méthodes de travail ?
Antoine : Il faut savoir que le développeur VR possède souvent deux aspects qui peuvent s’opposer. Mon côté joueur est assez inquiet du rachat par un géant aussi controversé que Facebook. Mais je suppose que seul le futur nous dira s’il y a matière à s’inquiéter ou non. Au contraire, le rachat est plutôt perçu comme une bonne chose par mon côté de développeur. C’est un début de garantie de la future adoption massive de la technologie par le grand public, Facebook possédant à la fois les moyens financiers et de diffusion pour la promouvoir. Je pense donc pouvoir un jour atteindre un grand marché de joueurs, et il y a moins de chances que la réalité virtuelle sombre dans l’oubli rapidement.
Cela n’a pas vraiment changé mes méthodes de travail au final. J’ai bien sûr eu une réunion avec des amis développeurs pour savoir quels genres de jeux plairaient au nouveau public « Facebook », mais nous nous sommes rendu compte que toute expérience en VR peut potentiellement plaire, et j’ai donc continué à développer le même genre d’expériences que si le rachat n’avait pas eu lieu.
Aurélie : Que penses-tu du prix de sortie annoncé au grand public (699 euros + 42 de frais de port en Europe)? Es-tu d’accord que c’est beaucoup trop élevé, donc un futur échec commercial ?
Antoine : C’est en effet un prix plus élevé que ce que la plupart prédisait, et je comprends parfaitement la frustration que ressentent de nombreux passionnés qui attendront encore pour acheter un casque ou qui l’achèteront mais en déboursant plus. Mais je ne pense pas que cela signifie un échec commercial, le prix a forcément longuement été réfléchi par Facebook et Oculus dans un but bien précis. Par exemple, leur but n’était peut-être pas de viser le grand public immédiatement avec cette première version du casque commercial, mais le noyau dur qui l’aurait acheté de toute façon. D’ailleurs, il me semble que le stock de casques a été vendu très rapidement.
Aurélie : Que penses-tu de la concurrence (PSVR, HTC-Vive, …) ?
Antoine : Je suis très content de cette concurrence, qui je l’espère poussera chaque acteur à se dépasser pour créer des casques et périphériques de qualité. Je développe pour la réalité virtuelle, et non pas seulement pour l’Oculus Rift, et créerai des expériences pour le ou les casques qui me plairont le plus. Cette concurrence me donnera un plus grand choix de ce côté.
Aurélie : Enfin, comment imagines-tu l’avenir du jeu vidéo ?
Antoine : Je ne sais pas si la réalité virtuelle remplacera les autres plateformes pour le jeu vidéo, et je ne le souhaite pas forcément, mais je pense sincèrement qu’elle est destinée à rester.
Par contre, dans un avenir plus lointain, nous jouerons probablement en réalité virtuelle sans casque. Ceux-ci vont commencer par diminuer en taille et poids, puis nous aurons des lentilles de contact ou de la projection sur les rétines, et à terme nous pourrions jouer en réalité mixte en projetant l’univers virtuel sur notre environnement.
Découvrir l’Oculus Rift en détails, interview d’Antoine Rigitano du site Enter The Rift :
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