Découvrez une interview un peu particulière sur la représentation des minorités dans le jeu vidéo. Dans ces lignes, nous nous penchons sur la vision que notre chère industrie du divertissement donne des personnages noirs. Une question qui, comme la représentation des femmes dans le jeu vidéo, tend à changer (lentement mais sûrement). Oui, mais à quel point, quels sont les clichés persistants et les solutions ? Quel message donner pour que nous, joueurs, soyons fiers de l’image que véhicule un de nos loisirs préférés ?
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C’est en compagnie de Charles Babb, directeur de Fairchild Consortium, producteur de jeux indépendants, et intervenant à la GDC 2015 sur les « Black Characters in video Games » que nous allons réfléchir, ensemble, à ce sujet.
Aurélie Knosp : Quel métier exercez-vous dans l’industrie du jeu vidéo ?
Charles Babb : Je travaille actuellement comme PDG à Fairchild Consortium, un nouveau studio de jeu vidéo. Je suis aussi un investisseur qui cherche à soutenir des équipes d’indépendants. J’ai l’occasion de travailler comme producteur et développeur de jeux vidéo.
A.K : Quand vous étiez enfant, était-ce votre rêve ? Quelles chances vous ont été offertes ?
C.B : Oui, quand j’étais adolescent (11 ou 12 ans), j’avais l’habitude d’écrire des tests et des documents de Game Design. J’ai eu mon premier déclic pour la programmation à 6 ans, devant la Commodore 64.
A.K : Qu’avez-vous appris avec votre premier travail ? Comment êtes-vous devenu directeur et producteur ?
C.B : Lors de mon premier travail, j’ai appris à être patient, avec le processus de création de jeux. J’ai été cette personne qui fixait les plannings et toutes les tâches souhaitées avec les objectifs à atteindre. J’ai rapidement appris que les équipes de développeurs avaient beaucoup d’envies et qu’elles n’avaient pas besoin de trop en faire pour avoir un super jeu. Le plus important que j’ai appris dans mon premier métier a été la communication entre divers départements. Les artistes, game designers et programmeurs ne parlent pas le même langage. Donc le producteur doit apprendre à traduire les intentions au travers de divers départements tout en gardant l’exactitude des termes.
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Le chemin de production est intéressant car les gens y accèdent par différents moyens. Plusieurs développeurs progressent dans leur département respectif (art, design, ingénierie) et ensuite se croisent au cours de la production. J’ai un passé de management de projet et je peux entrer directement dans un processus de production. De plus, j’ai un Master dans la production et la conception de jeux vidéo. La meilleure façon de devenir PDG est de créer sa propre entreprise. Cela demande beaucoup de préparation et d’intelligence pour devenir un entrepreneur. C’est un saut de foi. Puisque les jeux ne sont pas faits par un seul individu, vous aurez besoin de faire ce saut de foi avec d’autres qui auront autant de compétences et d’intelligence.
A.K : Pensez-vous qu’il existe des problèmes dans la représentation des minorités dans le jeu vidéo ? Avez-vous des exemples ?
C.B : Il y a un énorme problème avec la représentation des minorités dans le jeu vidéo. La perspective actuelle des jeux vient d’hommes blancs protestants (White Anglo-Saxon Protestant/ WASP). Nous jouons aux jeux vidéo à travers leur regard. Donc, ces jeux n’ont pas les nuances des sous-cultures du monde réel. Les jeux ne créent pas une vraie diversité de personnages. En effet, les femmes et d’autres groupes minoritaires sont plats et habituellement montrés sous forme de stéréotypes.
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Pourtant, assis lors d’un débat sur le design, discutant des personnages, le sujet de créer un personnage masculin noir est apparu. Mais personne de l’équipe n’était noir, alors il se sont fiés aux médias de masse et aux clichés pour définir ce personnage. J’ai du monté d’un cran en tant que producteur pour corriger de nombreuses incompréhensions sur ce que signifie être noir en Amérique et l’être dans un film ou un show à la télé.
A.K : Essayez-vous de trouver des solutions ? Pourquoi et comment ?
C.B : J’essaie toujours d’apporter des solutions pour les sous-représentations de minorités dans les nouvelles technologies et le jeu. Dans les faits, j’ai créé une organisation appelée « Blacks Representing Interactive Development and Gaming Entertainment (BRIDGE) », conçue pour le développement professionnel et les carrières dans les jeux et médias interactifs. L’objectif est aussi d’encourager les professionnels à enseigner aux enfants et aux jeunes les bénéfices d’apprendre et d’intégrer la technologie dans leur carrière. Je pense que la solution est de diversifier les équipes et de mettre des minorités à des postes plus importants dans le processus de création.
A.K : Avez-vous des exemples pour ajouter des minorités dans les équipes ?
C.B : La meilleure façon d’obtenir des minorités dans des équipes est d’avoir une personne en minorité impliquée dans le processus de développement et de production. Un participant actif dans le création peut assurer que des candidats minoritaires qualifiés ne deviennent pas coupés de ce processus. Dans le cas où il n’y a pas de minorités dans des postes d’encadrement ou actifs dans la production, ils devront apprendre à devenir sensibles à leurs propres préjugés. Ils comprendront juste la chance d’avoir des minorités qualifiées quand on entre dans le processus de développement.
A.K : Aimeriez-vous plus de jeux avec des références historiques ? Ou, au contraire, les jeux vidéo sont un moyen de s’évader ?
C.B : Personnellement, je n’ai pas de préférence pour savoir si les jeux sont basés sur l’histoire ou s’ils sont un moyen de s’échapper. Cependant, je déteste les jeux qui représentent avec imprécision les histoires de nos ancêtres. Les jeux peuvent être un moyen d’apprentissage, mais ils doivent être amusants. Ça devrait être une balance pour ces jeux.
A.K : Faîtes- vous appel à votre famille ou à la mémoire des gens pour créer des personnages noirs ?
C.B : J’ai l’habitude de regarder ma famille et mes amis pour avoir les références et créer des personnages forts. Heureusement, j’ai étudié de nombreuses figures historiques noires et j’ai assisté à ces cours dans un HBCU (Historically Black College and University) appelé Morehouse College. Comme Morehouse College est uniquement pour garçon et majoritairement avec une institution de noirs, nous apprenons beaucoup l’histoire des noirs et les personnes qui la composent. Alors, j’utilise les histoires du passé et les motivations du présent pour évoquer des personnages noirs psychologiquement forts.
A.K : Quelles sont vos valeurs éthiques et culturelles ? Comment voulez-vous les transmettre ?
C.B : Je suis actuellement en train de « désapprendre » mon système de croyances. Je suis convaincu que nous connaissons vraiment peu de choses sur le monde qui nous entoure. Évidemment, nous avons les sciences qui définissent et redéfinissent notre monde. Il y a les religions qui nous réconfortent. Mais, je suis complètement d’accord avec l’idée de vivre dans un monde de chaos, en tant que créature la plus fragile de cette planète.
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Si je dois transmettre une idée qui doit être tenue comme une vérité, ce serait « prenez toujours la meilleure décision ». Quand on est face à deux mauvaises décisions ou deux bonnes, ou une mauvaise et une bonne, choisissez toujours la meilleure.
A.K : En tant que développeur noir dans l’industrie du jeu vidéo, avez-vous un bon et un mauvais souvenir à nous raconter ?
C.B : J’ai tellement de bons souvenirs dans l’industrie du jeu vidéo. J’ai, par chance, été parmi les meilleurs studios et j’ai travaillé avec des personnes extraordinaires. Je ne retiens pas les mauvais souvenirs, et je choisis toujours de ne pas les partager au monde entier. La vie est trop courte pour s’accrocher aux mauvais souvenirs.
A.K : Pensez-vous que l’industrie a besoin de plus de développeurs, hommes et femmes, de différentes origines pour créer des personnages matures pour nos jeux ?
C.B : L’industrie a besoin de monde. C’est une industrie STEAM. Nous avons besoin de gens qui aiment et comprennent la science, la technologie, l’ingénierie, l’art et les mathématiques. Nous avons besoin de personnes de toutes les origines pour continuer à créer des histoires fortes. Les histoires fortes sont relativement jeunes en tant que forme artistique. Cependant, je sais que si l’industrie du jeu s’ouvre et recrute des profils qualifiés et divers talents, nous pouvons créer des histoires aussi fortes qu’au cinéma ou dans la musique.
L’industrie est très bornée et seulement ouverte d’esprit sur ce qu’elle connaît. Comme chacun, les gens connaissent ce qu’ils connaissent. Ils ne connaissent pas ce qu’ils ne connaissent pas. Cette industrie est ouverte, il y a un problème de diversité, mais elle est ignorante de pourquoi ou comment il y a ce problème. Personne ne prend le temps d’examiner le problème et de le critiquer tout en mettant en avant des solutions. C’est très similaire à notre société. Nous reconnaissons la diversité des solutions, mais nous pensons que c’est trop de travail pour les fixer dans une course unique.
A.K : Après tout, faire partie d’une minorité n’est-ce pas un moyen pour se faire entendre plus facilement ?
C.B : Vous n’avez pas besoin d’être une minorité pour être écouté. Pour être écouté, vous avez juste besoin de parler fort et d’agir. Il existe une maxime qui me guide : « Bien fait est mieux que bien dit ». Les actions parlent mieux que les mots et ne peuvent être stoppées par ces mots. Donc, je suis chargé d’infuser de la diversité dans toutes mes petites équipes et de me concentrer sur des faits qui illustrent cette diversité. Fairchild Consortium n’a pas encore sorti de jeu, mais quand ce sera fait… Ce sera divers et, avec bon espoir, accepté.
A.K : Et dernière question, quel conseil donneriez-vous pour travailler dans l’industrie du jeu vidéo ?
C.B : Apprenez les outils nécessaires pour prendre le poste que vous voulez et continuez de vous améliorer et d’évoluer. Vous pouvez commencer comme graphiste et finir comme Game Designer. Vous pouvez apprendre plusieurs disciplines et essayez de devenir directeur créatif. Peu importe si c’est une bonne ou une mauvaise année, vous devez continuer d’apprendre et rester positif. Il n’y a pas de gloire dans le jeu vidéo. Il y a seulement de l’amour pour la technologie et l’art.
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Interview (originale) en anglais :
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Aurélie Knosp : What is your Job in videogame industry ?
Charles Babb : My current job in the videogame industry is CEO of Fairchild Consortium, which is a new videogame studio. I’m also a venture capitalist looking to support independent teams. I used to be a designer and producer of videogames.
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A.K : When you were a child, did you dream to make video Games ? What possibilities were offered to you ?
C.B : Yes, as a young tween (11 or 12 years old), I used to write videogame reviews and game design documents. I had my first shot at programming at roughly 6 years old on the Commodore 64.
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A.K : What did You learn with your first Jobs ? How do You become a CEO and Producer ?
C.B : On my first job, I learned how to be patient with the game making process. I was a person that thought schedules were fixed and everything on a design wishlist should be completed for the game, even the stretch goals. I quickly learned the design teams have a large appetite for things in the game, and they should not get everything nor need everything on their design lists to make the game great. The most important that I learned on my first job was cross-department communication. The artists, designers, and engineers do not speak the same language. So, the producer has to learn how to translate across departments and maintain the honesty across the departments.
The road to production is an interesting one because people get there in different ways. Many developers rise up through their respective departments (Art, Design, and Engineering), then they cross into production, which are the project management positions. I have a project management background and was able to join directly into production. Moreover, I earned a Masters of Science degree focusing on video game production and design. The easiest way to become a CEO is to start your own business. It takes a lot of preparation and brainpower to become an entrepreneur. It is a leap of faith. Since games are not made by a single individual, you will need to make this leap of faith with others that are just as bold and have lots of skill and brainpower.
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A.K : Do You think there is any problem in minorities representations in video games ? Have You got some exemples ?
C.B : There is a huge problem with minority representation in videogames. The current perspective of gaming is from White Anglo-Saxon Protestant (WASP) men. We are playing games through their lens, so the games don’t have the subtle cultural nuances of the real world. The games don’t create diverse round characters. Instead, the women and other minority groups are flat and usually show up in the form of tropes and stereotypes.
While sitting in a design meeting discussing characters, the topic of creating a Black male character came up. None of the design team were Black; therefore, they relied on mass media and entertainment stereotypes to define this character. I had to step in as a producer to correct many of the misconceptions of what it means to be Black in America and not Black in a movie or television show.
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A.K : Do You try to give some solutions ? Why and How ?
C.B : I’m always trying to provide solutions for the misrepresentation of minorities in technology and gaming entertainment. Matter of fact, I created an organization called Blacks Representing Interactive Development and Gaming Entertainment (BRIDGE), which is designed for professional development in the interactive entertainment and gaming careers while encouraging professionals to teach children and youth about the benefits of learning and entering technology careers. I believe the solution is in diversifying the teams and getting minorities in the C-executive and high level creative seats.
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A.K : Have You got a solution exemple to get minorities in teams ?
C.B : The best way to get minorities on teams is being a minority on the team involved with the interviewing process. As an active participant in the interviewing process, you can make sure that qualified minority candidates don’t get cut from the process. In places that don’t have minorities in management positions or active in the interview process, they will need to learn to become sensitive to their own prejudices and just take the chance on qualified minorities whenever one enters the interview process.
A.K : Would you like more games referenced historically? Or, on the contrary, video games are only a way to escape ?
C.B : Personally, I don’t have a preference if games are based on history or if they are completely an escape. However, I dislike games that inaccurately represent people’s ancestral histories. I also don’t like it if games don’t utilize the current cultural climate to develop character interaction. Games can be a device for learning, but they must be entertaining. There should be a good balance for them.
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A.K : Do you appeal to your family or the memory of people (letters, newspapers…) to create strong black characters ?
C.B : I do use my family and friends for references for strong characters. Fortunately, I’ve studied many Black historical figures and attended a Historically Black College and University (HBCU) called Morehouse College. While at Morehouse College, which is an all-male and predominantly Black institution, we learned a lot about Black history and the people in it. So, I use the stories from the past and the motivations from the present to conjure up strong Black characters.
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A.K : What are your values, ethical, ethnic and cultural? How do you wish to transmit them ?
C.B : I’m currently unlearning my belief system. I’m convinced humans know very little about the world around us. Sure, we have Science that defines and redefines the world. There are religions that comfort humans. But, I’m completely okay with living in a world of chaos as one of the most fragile creatures on the planet.
If I transmit one idea that I hold as a truth, it would be “always make the better decision.” When faced with two bad decisions or two good decisions or a good and a bad decision, always choice the best of the decisions.
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A.K : As black developer in video game industry, have you a good memory and a bad memory to be told us ?
C.B : I have so many good memories in the video game industry. I’ve fortunately been at some of the best studios and worked with some of the most extraordinary people in the industry. I don’t hold onto any bad memories, and always choose not to share them with the Universe. Life is too short to harp on bad memories.
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A.K : Do you think industry need more developers of different origins and women to create more mature characters and games ? Either, is it not a problem of listening and open-mindedness?
C.B : The industry needs people. It is a STEAM industry. We need people that love and understand Science, Technology, Engineering, Art, and Mathematics. We need people of all origins to continue building powerful narratives. Strong narratives in games is relatively young in the art form. However, I know that if the gaming industry opens up and actively recruits qualified and diverse talent, we can create more powerful narratives than music or film.
The industry is very insular and only open minded to what it knows. Like any human, people only know what they know. They don’t know what they don’t know. The industry is aware there is a diversity problem, but ignorant on why or how there is a diversity problem. No one is taking the time to actually examine the problem and critically think out potential solutions. It is very similar with our society. We acknowledge diversity issues and think it is too much work to fix them as a single race.
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A.K : After all, to be a part of a minority it is not a key point to be heard more easily ?
C.B : You don’t need to be a minority to be heard. In order to be heard, one just needs to speak up and do. There is a maxim that I live by- “Well done is better than well said.” Actions speak louder than words and cannot be stopped by words. So, I’m busy infusing diversity on all my small teams and focused on creating properties that illustrate diversity. Fairchild Consortium hasn’t released a title yet, but when we do… It will be diverse and hopefully accepted.
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A.K : And last question, what advice would you give to work in the video game industry ?
C.B : Learn the skills necessary for the position you want and keep improving and evolving. You may start as an artist and end as designer. You may learn multiple disciplines and trades to become the Creative Director. No matter through the good years or the bad years, you must keep learning and remain positive. There is no glory in video games. There is only love for technology and art.
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