Rediffusion : Shuttle Shuffle est un puzzle game aussi simple à prendre en mains que difficile à lâcher.
Disposés sur un damier, vous devez faire rentrer des Aliens dans leur vaisseau. Mais attention aux couleurs et à certains déplacements qui en entraînent d’autres.
Surtout, ce jeu du studio indépendant Lozange-Lab propose un éditeur de niveaux pour de nombreux affrontements entre joueurs.
Avec cette interview de Mat’ Loz’, développeur de Shuttle Shuffle, découvrez les débuts et le développement d’un jeu vidéo. C’est l’occasion d’en apprendre plus sur le titre en question mais aussi sur le marché du jeu vidéo indépendant.
À propos du parcours :
Aurélie Knosp : Bonjour Mathieu, quel est ton rôle sur la création du jeu Shuttle Shuffle ?
Mat’ Loz’ : Salut Aurélie ! Je suis le développeur principal du jeu, j’ai fait les musiques et les sons et m’occupe aussi des parties administratives et marketing. Nous avons réalisé le game design à deux, Ava et moi, de même pour la conception des différents niveaux.
A.K : Comment es-tu arrivé à la création de jeux vidéo, quel est ton parcours ?
M.L : Ça ne me rajeunit pas, mais je suis développeur depuis une bonne dizaine d’année. J’ai travaillé pour des sociétés de développement informatique pour lesquelles je réalisais des applications plutôt orientées business, mais pour lesquelles j’ai toujours essayé d’apporter des choses innovantes et intéressantes visuellement. Puis j’ai créé Lozange Lab, qui réalise des jeux vidéo mais également des installations numériques interactives.
A.K : Où travailles-tu pour développer tes jeux ? Dans quel contexte ?
M.L : Nos locaux sont situés à Metz, dans un ancien dépôt de bus transformé en tiers-lieu de création artistique et numérique, nommé TCRM-Blida. C’est un endroit fabuleux dans lequel on côtoie des artistes vidéo, des graphistes, dessinateurs, peintres et autres.
Nous sommes dans un espace dédié aux jeux vidéo, aux côtés notamment d’un youtuber spécialiste de World of Warcraft, d’une association qui organise des game-jams et du premier centre de recherche universitaire français sur le jeu vidéo. Nous réalisons régulièrement des installations numériques en collaboration avec les artistes présents sur place, avec lesquels nous travaillons sur la partie interactive et ludique de leurs représentations.
A.K : Quels sont les apports (matériel, humain, financier, etc) de cet espace Game Lab et de ce lieu de créations artistiques ?
M.L : L’équipe en charge du lieu est dynamique et a de nombreux projets pour valoriser l’art numérique en général et le jeu vidéo en particulier. Par exemple nous travaillons en ce moment sur un bus itinérant présentant l’histoire des jeux vidéo, depuis les premières bornes d’arcades jusqu’aux robots.
A.K : Est-ce votre premier jeu ?
M.L : C’est le premier jeu pour le grand public de notre société. Mais nous avons tous les deux participé à plusieurs projets sur PC ou mobile et avons réalisé quelques jeux en mode « installation numérique », avec Kinect notamment.
A.K : Quel est le point de départ de sa création ?
M.L : J’ai d’abord eu l’idée du jeu, puis réalisé un petit prototype. Je l’ai montré à Ava, l’autre moitié de Lozange Lab qui a trouvé le concept intéressant et j’ai immédiatement prototypé l’éditeur de niveau. Là tout est devenu rapidement plus clair pour nous, car on s’est rendu compte qu’on prenait beaucoup de plaisir à créer nos propres niveaux et à jouer à ceux de l’autre. Dès le départ du projet on a donc décidé qu’on allait en faire profiter tout le monde en incluant l’éditeur directement dans le jeu.
A.K : Combien de personnes étiez-vous sur le projet et pendant combien de temps ?
M.L : La direction artistique et les graphismes ont été réalisés par Ava. Mon prototype comprenait juste des carrés de couleurs, elle l’a transformé en piste d’atterrissage de soucoupes volantes conduites par des aliens aux yeux exorbités J
Shuttle Shuffle a été entièrement développé par nous deux pendant environ 2 mois et demi. Mais c’est un jeu qui est construit également par la communauté ! Chaque joueur y participe en créant des niveaux et alimentant jour après jour le contenu du jeu.
A.K : Quels sont vos moyens de financement ?
M.L : Nous essayons bien sûr de limiter nos frais le plus possible, mais pour le moment nous ne pouvons pas vivre uniquement de nos jeux vidéo. C’est notre travail sur nos installations interactives, ainsi que nos réalisations de logiciels artistiques qui nous ont permis de financer le jeu. Depuis la sortie, nous avons reçu plusieurs demandes de réalisation, nous laissent entrevoir la possibilité d’une viabilité à terme de l’entreprise dans ce domaine.
À propos du jeu :
A.K : Shuttle Shuffle, que veut dire ce drôle de titre ?
M.L : « Shuttle » fait référence aux navettes, aux soucoupes volantes d’aliens, les « Space Shuttle ». Et « Shuffle » c’est l’action de mêler, de mélanger, de battre les cartes. Les aliens ont eu un atterrissage difficile et se sont retrouvé éjectés de leur soucoupe, éparpillés, mélangés. Et puis surtout on trouvait que ça sonnait bien et que les mots étaient visuellement intéressants J
A.K : Quel est le public visé ?
M.L : Le jeu est destiné à tous les amateurs de puzzle-games. Il est adapté à tous les âges et est disponible sur les principaux smartphones et tablettes du marchés : iPhone, iPad, Android mais aussi Windows Phone. On a fait particulièrement attention à ce qu’il tourne sur des appareils avec peu de mémoire, on voulait vraiment que ça soit accessible à tous.
A.K : Dans quel contexte et avec qui avez-vous fait des Playtests ?
M.L : Nous avons lancé un appel à béta testeurs et mis à disposition des versions béta de l’appli sur les trois plateformes. Et puis nous avons organisé une soirée de béta test à Metz au cours de laquelle nous avons observé attentivement les testeurs et recueilli leurs impressions. Je dois dire que c’était assez amusant de les voir s’arracher les cheveux sur les niveaux qu’on a conçus.
De manière générale, je pense qu’un des plus grands plaisirs que peuvent éprouver les game designers est d’observer les joueurs jouer à leurs jeux ! Nous avions réalisé une installation interactive où des équipes de joueurs devait danser pendant 2 minutes et étaient notés automatiquement suivant les mouvements qu’ils réalisaient. Nous avons passé la soirée à regarder les équipes s’organiser, développer une stratégie pour améliorer leur score, sauter de joie quand ils battaient le record, et même imaginer des moyens de tricher ;-).
A.K : L’originalité du jeu en trois points forts ?
M.L : La première originalité est l’aspect communautaire du jeu. Nous avons intégré un éditeur de niveaux, qui permet à chacun de créer ses propres niveaux et de les partager à la communauté. Chacun peut noter les défis des autres et essayer d’améliorer la solution. Actuellement environ 300 niveaux ont déjà été créés !
La seconde est liée au système de récompenses. Dans chaque niveau, lorsque le joueur parvient à obtenir la médaille (en trouvant la solution optimale) il a le choix entre 3 récompenses : des tickets pour créer des niveaux, des tickets pour jouer à des niveaux communautaires, et des indices. Cela permet à chacun de choisir ce qu’il préfère suivant son style de jeu, et ajoute même une dimension stratégique à sa progression.
Enfin les mécaniques même du jeu sont très simples mais suffisamment intéressantes pour permettre aux joueurs de se creuser les méninges pendant des heures.
A.K : Il existe donc trois modes de jeu : Campagne, éditeur de niveaux, et défis. Peux-tu les expliquer, que peut y faire le joueur ?
M.L : Nous avons conçu Shuttle Shuffle comme une plateforme, un service, qui permet aux joueurs de découvrir et de créer chaque jour de nouveaux niveaux. Nous conseillons de commencer par les niveaux de campagne afin de maitriser progressivement les différentes techniques de résolution, puis de passer aux défis, créer des niveaux, et tenter d’améliorer la solution de ceux des autres.
A.K : Le joueur va découvrir trois planètes, Terra, Luna et Zygma. Quelles sont leur(s) particularité(s) et quels sont les nouveaux challenges pour corser la partie ?
M.L : En effet, outre l’environnement graphique différent, chaque planète apporte une mécanique de jeu particulière.
La planète Terra est la plus simple, les règles du jeu s’apprennent au fur et à mesure des niveaux, même si ça commence à se corser rapidement J
Pour Luna on a intégré des trous noirs. Si un alien tombe dedans, la partie est perdue. A première vue on pense qu’ils sont faciles à éviter mais comme les aliens bougent en ligne et en colonne c’est plus difficile qu’il n’y parait.
Avec Zygma apparaissent les vortex. Ils permettent aux aliens de se téléporter d’un point à un autre. Ils peuvent ainsi accéder à une zone bloquée normalement par des trous noirs par exemple.
L’éditeur permet aux joueurs de créer leurs niveaux en y incluant les particularités propres à ces mondes. Ils peuvent ainsi créer un niveau dans Zygma comprenant des trous noirs et des vortex.
A.K : Shuttle Shuffle est un jeu gratuit, les monnaies du jeu sont, comme tu l’expliquais, des étoiles, des indices et des tickets. Comment les gagne-t’on et comment les dépense-t’on ?
M.L : L’accès aux niveaux de campagne du premier monde, Terra, est totalement gratuit. Les deux autres mondes se débloquent par des achats in-app.
Les tickets permettent de jouer aux niveaux communautaires et de créer ses propres niveaux. Lorsque le joueur gagne un niveau il obtient gratuitement un ticket. S’il a besoin de plus de tickets il peut s’en procurer par l’intermédiaire d’un achat in-app dans lesquels ils sont proposés par packs, de même pour les indices.
Une grosse partie du jeu est ainsi jouable gratuitement. Et si le joueur devient accroc, il peut débloquer les mondes suivants pour jouer à plus de niveaux.
A.K : Quelles sont vos références que ce soit en terme de Direction Artistique, de Game Design et de modèle économique ?
M.L : Nous n’avons pas réellement de référence sur ce jeu, on a vraiment voulu faire le jeu auquel on a envie de jouer et pas un jeu inspiré d’un autre. Parmi les jeux au design proche, nous avons beaucoup aimé Triple Town de Spry Fox ou Monster Flip de Launching Pad… aucun de ces jeux n’a eu le succès qu’il méritait d’ailleurs !
Au niveau de la direction artistique on voulait des personnages funs mais avec des graphismes simples. Ava n’a pas non plus pensé en termes de références, sauf pour le poster du jeu, qui est une référence évidente au pop-art. Cet artwork a d’ailleurs été sélectionné par un jury (dans lequel se trouvait notamment Eric Chahi), puis exposé au musée Fabre de Montpellier pour l’exposition Game Art Exhibition ! Ça a été une grande fierté pour nous d’avoir pu être présent à cet événement aux côtés de grands noms du jeu vidéo, alors que c’est notre premier jeu !
A.K : Utilisez-vous les réseaux sociaux pour mettre en avant votre jeu, pousser les joueurs à aller plus loin, à créer des niveaux … ?
M.L : Lozange Lab est présent sur les réseaux sociaux https://www.facebook.com/ShuttleShuffle et nous avons également une page Facebook https://www.facebook.com/LozangeLab ainsi qu’un compte Twitter https://mobile.twitter.com/shuttleshuffle spécialement dédiés à Shuttle Shuffle. La prochaine mise à jour du jeu (à venir très bientôt) permettra aux joueurs de partager leurs victoires à la fois dans les niveaux de campagne et de défi sur ces réseaux sociaux, et surtout de partager les nouveaux niveaux qu’ils ont créés.
A.K : Le produit final répond-t’il à l’idée d’origine ?
M.L : Tout à fait, le gameplay est le même que sur notre prototype, le principe général de l’éditeur de niveaux l’est également. Bien sûr on a complété l’idée d’origine en ajoutant des mécaniques particulières pour les mondes 2 et 3, ou par exemple un système de notation et de tri des niveaux communautaires, mais l’idée d’origine a toujours été la même.
À propos des retombés et de la suite :
A.K : Depuis quand Shuttle Shuffle est-il sur les Stores ? Quels sont les retombées en termes de téléchargements et de ventes, à court et à long terme ?
M.L : Shuttle Shuffle est sorti juste avant Noël. En termes de téléchargements c’est assez variable suivant la plateforme. Sous Windows Phone par exemple, nous avons eu de bons articles sur de sites, ce qui a boosté d’un coup les téléchargements de plusieurs milliers. Les pays où ça marche le mieux sont les Etats-Unis, l’Italie, le Brésil et l’Inde mais avons reçu des commentaires de vraiment partout dans le monde.
Sous iOS au contraire nous n’avons pas réussi à percer, si bien que le jeu a été assez peu téléchargé pour le moment sur cette plateforme. C’est la grosse difficulté sur mobile, il y a tellement de jeux qui sortent chaque jour que si tu n’es pas mis en avant, que ce soit par un article ou un feature, les joueurs n’ont même pas connaissance de ton jeu.
Nous avons par contre de très bonnes notes sur tous les stores avec d’excellents commentaires, ce qui est très encourageant connaissant la dureté habituelle des joueurs sur mobile, notamment vis-à-vis du modèle free-to-play.
Et puis Shuttle Shuffle vient d’être nominé pour l’Indie Prize Europe 2015 et nous serons au salon Casual Connect d’Amsterdam pour le présenter, peut-être que ça aidera à le faire connaître également !
A.K : Avez-vous amorti vos frais pour pouvoir développer un second jeu ? Allez-vous chercher des moyens de financement ? Si oui, lesquels ?
M.L : Non, mais on s’y attendait J ! Shuttle Shuffle est notre premier jeu sur mobile et on voulait surtout apprendre et se faire connaître du milieu avec un jeu simple mais bien réalisé. Les bons retours qu’on a reçus nous encouragent à poursuivre et le deuxième jeu est d’ores et déjà en phase de prototypage. Concernant les moyens de financement, il est possible que nous réalisions des commandes de jeux et en tout cas d’autres installations numériques au cours de l’année pour financer le suivant.
Le trailer :
A.K : Comptez-vous faire des mises à jour ou une suite à Shuttle Shuffle ?
M.L : Il n’est pas prévu de suite, si le jeu marche bien nous ajouterons des mondes et des mécaniques de jeu supplémentaires à la version actuelle, ce n’est pas les idées qui nous manquent ! Des mises à jour vont arriver bientôt. Outre celle dont je parlais tout à l’heure (et qui contient également quelques surprises) nous avons par exemple prévu d’ajouter des « achievements » dans une prochaine update. Et bien sur nous corrigerons les bugs éventuels.
A.K : À l’avenir, désirez-vous agrandir l’équipe pour faire des jeux plus importants, ou préférez-vous rester à deux pour être au plus proche de vos créations ?
M.L : L’idée de Lozange Lab est de rester un petit studio, dans lequel les gens sont proches et les idées peuvent évoluer rapidement. Ça n’exclue pas de travailler avec d’autres personnes, voire même de les intégrer dans l’équipe, mais l’idée est vraiment de rester un petit nombre.
A.K : Quand tu te réveilles le matin, es-tu heureux de créer des jeux ? Qu’est-ce qui te pousse à rester dans la création numérique ?
M.L : Chaque matin je teste quelques-uns des niveaux qui ont été créés par les joueurs de Shuttle Shuffle la veille. Il y a vraiment des gens talentueux qui conçoivent des niveaux intéressants et c’est un grand bonheur pour nous.
Concernant nos collaborations sur les installations numériques, c’est toujours une grande motivation de pouvoir travailler avec de grands artistes, comme le collectif Paradigme, nous apprenons également beaucoup à leurs côtés.
A.K : Enfin, un conseil pour ceux et celles qui aimeraient se lancer dans le développement de jeux vidéo ?
M.L : Je pense qu’il faut vraiment du temps et de l’expérience pour pouvoir réaliser des jeux intéressants et innovants, tout en étant rentable financièrement. C’est un milieu très difficile avec une forte concurrence, et pour réussir chaque aspect doit en être maitrisé, de la direction artistique au marketing.
Avec les outils dont nous disposons de nos jours, il n’est pas très compliqué de réaliser un prototype de jeu, mais c’est bien plus dur d’avoir un jeu cohérent, intéressant, équilibré, et de le sortir sur les stores. Il faut être très motivé et ne pas s’arrêter dès que le boulot devient moins intéressant.
Mais ce n’est que notre premier jeu, je ne suis pas réellement en mesure de donner des conseils pour le moment !
Merci pour cet entretien Aurélie !