Épilogue d’un dur labeur de plusieurs années, The Last of Us Part II est probablement l’un des derniers chants du cygne d’une PlayStation 4 qui va, peu à peu, tirer sa révérence pour laisser la place médiatique à sa petite sœur. Propulsée par Neil Druckmann, qui a dû se passer des services de Bruce Straley, la suite des aventures de Ellie et Joel est une ode violente, viscérale et puissante. Nul ne sait à quoi aurait ressemblé The Last of Us Part II si le duo avait été le même que pour l’original mais il y a des partis pris, assumés, qui ne pourront être acceptés par tout le monde – et pas uniquement pour la brutalité du propos. Dans sa démarche, on imagine sans mal que The Last of Us Part II a été l’épicentre de nombreux débats en interne et on peut le comprendre. Le jeu est l’œuvre d’un auteur, guidé par plusieurs têtes pensantes et une équipe ultra talentueuse, qui peut surprendre (en bien ou mal) et qui n’hésite pas à aller dans la surenchère lorsque le récit l’exige. Il m’aura fallu un mois pour le terminer et donc le prendre avec le recul nécessaire. Grand jeu, c’est certain. Chef d’œuvre au même titre que le premier épisode, c’est déjà plus contestable. The Last of Us Part II est un titre-choc qui porte les ecchymoses d’un développement qui a véritablement laissé des traces et qui risque fort de marquer notre mémoire à jamais.
Avant de conter ce nouveau chapitre, revenons un instant sur le premier The Last of Us. Fruit de multiples inspirations cinématographiques comme littéraires, la quête de Joel et Ellie est née après la visualisation, par Druckmann et Straley, d’un documentaire diffusé sur la BBC et racontant comment une fourmi infectée par le cordyceps, un champignon parasitaire, perd tout contrôle. Les spores du champignon viennent en effet se greffer sur la tête de l’insecte et parasite la communication entre le cerveau et les membres. Les deux compères se sont alors posés la question d’un tel impact sur l’être humain et ce fut l’idée de base de The Last of Us. Ensuite, au gré de leurs recherches et de leurs connaissances, ils ont imaginé une histoire puisant dans diverses œuvres comme City of Thieves, la Route, Je suis une légende ou encore The Walking Dead. Au-delà de son contexte post-apo-épidémique, The Last of Us est surtout une fable violente relatant comment deux humains – que tout oppose – vont peu à peu tisser des liens père/fille et créer une forme d’humanité dans un monde en totale perdition, symbolisé par des ignominies qui n’ont plus rien d’humain. The Last of Us, par la noirceur de sa trame et sa mise en scène extraordinaire, est sans conteste l’un des chefs d’œuvre de la génération PlayStation 3 et il va sans dire que raconter une suite représentait un challenge très délicat.
ELLIE-BERTÉ
Ellie et Joel ont bien changé et sont désormais deux habitants lambda du camp de survivants. Au fil des années, la population s’est adaptée à un mode de vie plus confortable sans omettre le danger réel qui sommeille au-delà des gigantesques palissades de cette ville grouillante de monde. Avec ses us et coutumes et ses propres règles, The Last of Us Part II dépeint un quotidien qui est bien différent des épreuves traversées par Ellie et Joel dans le premier épisode. Au début du récit, on comprend que les rapports entre les deux amis sont paradoxaux, complexes et qu’aucun d’entre eux n’est vraiment sorti indemne de leurs précédentes pérégrinations. On découvre aussi que les survivants ont appris à vivre avec les infectés et que nos protagonistes se rient quasiment des monstres désormais. Sans révéler quoi que ce soit, on voit – par le biais de diverses séquences et flashbacks – l’évolution d’une Ellie se durcissant et se perfectionnant au maniement des armes. The Last of Us Part II, ce n’est pas une surprise, a une véritable approche cinématographique et met en lumière de très nombreux personnages qui auront tous une importance au sein du scénario. Naughty Dog a une faculté assez prodigieuse à façonner un univers qui nous parle. À l’intérieur du camp, on navigue dans un environnement plutôt joyeux, faisant la part belle aux animaux, à l’agriculture, au travail et au bon temps avec la présence de maisons, de serres, de plantations, de cordes de bois, d’illuminations, d’une auberge, d’échoppes et même d’un bar. Le tout est teinté d’innocence et les débuts du jeu sont particulièrement agréables avec la découverte des protagonistes inédits et de séances d’initiation qui remettent en valeur les différents pans du gameplay auxquels l’original nous a habitués.
ABBY ROAD
The Last of Us Part II est aussi l’occasion de mettre en avant une nouvelle protagoniste absolument extraordinaire : Abigail Anderson, que tout le monde surnomme Abby. Véritable armoire à glace, elle va concentrer toute la colère d’Ellie et transformer petit à petit le récit en une ode à la vengeance. Le script, d’une puissance assez folle, a cette grande force de ne jamais tomber dans la violence gratuite ou dans un manichéisme de bas étage. Chaque protagoniste aspire à une finalité et agit en réponse à des évènements du passé. En somme, ce sont des humains, meurtris, qui se battent pour une cause qu’ils estiment juste. Mais bien évidemment, la réalité est beaucoup plus complexe et modifiera leur trajectoire – sans qu’aucun ne change de but. Sur ces points, The Last of Us Part II est une formidable réussite, portée par des dialogues excellents, des doublages (français comme anglais) stupéfiants de justesse et une mise en scène redoutable. Le bestiaire du premier épisode a gagné en variété et ne se limite plus uniquement aux ennemis de base ou aux incontournables claqueurs. Naughty Dog n’a pas seulement repensé sa formule, il l’a sublimé. Ellie, Joel, Abigail et bien d’autres ont un panel de mouvements assez hallucinant qui permet d’agir en toute discrétion ou en optant pour la méthode forte. En matière de gameplay, il ne faut toutefois pas s’attendre à une révolution. Le champ d’action est riche mais demeure classique avec un arsenal plutôt complet, du ramassage de loot, de la recherche de collectibles et documents (qui participent à l’immersion dans cet univers), du crafting (plus complet et bien pensé) et de nombreuses séquences ne se résumant pas à des gunfights ou des chopes dans le dos des ennemis. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’écran-titre montre un bateau amarré… mais on vous laisse découvrir ça par vous-mêmes. Comme on peut l’imaginer, The Last of Us Part II se fait un malin plaisir à balancer les phases avec plusieurs personnages et une myriade de scripts (comme lors des combats avec des finish spectaculaires). Pas de doute, vous allez crapahuter, glisser, ramper dans les hautes herbes, grimper, nager, sauter ou encore vous faufiler, le tout en vous farcissant quelques jumpscares bien sentis. Il est d’ailleurs difficile de ne pas souligner la qualité globale de l’intelligence artificielle qui pourra mettre vos nerfs à rudes épreuves. Les ennemis, infectés comme humains, peuvent être redoutables en contournant leur cible et en utilisant le surnombre pour vous piéger. L’avantage, c’est que vos compagnons sont aussi bien plus efficaces pour vous épauler. Tout cet ensemble participe à une immersion qui nous frappe de bout en bout. Et frapper, le jeu le fait très mais alors très fort. La première partie se solde par une séquence qui donne le ton d’une aventure qui va s’étendre sur plusieurs dizaines d’heures. Et c’est d’ailleurs l’un des défauts, à notre sens, qui peut générer une certaine frustration.
DINA-BLASTER
The Last of Us Part II a été repoussé plusieurs fois. Selon Neil Druckmann, cela a permis à l’équipe d’ajouter de nouvelles scènes, des monstres inédits et de gonfler le nombre de cinématiques pour porter le récit à son summum. Dans les faits, c’est un saut qualitatif non négligeable et l’histoire prend son temps pour établir chaque pan de son script. Le problème, c’est que le scénario est tiré en longueur avec des phases de gameplay qui s’éternisent et qui posent un vrai problème dans le sens où on sent venir des évènements à des kilomètres. Heureusement, c’est loin d’être le cas pour tous les éléments de la trame, notamment avec les chapitres avec Abby, et la surprise demeure. Mais on ne peut s’empêcher de penser que le jeu aurait pu être moins long, moins étiré et qu’il pouvait conserver toute sa teneur sans multiplier les innombrables passages en lieux totalement fermés et sombres. Le jeu vidéo a bien mieux à offrir que ces foutues séquences de grottes, de parking ou d’hôpital sans lumière… qui font trop « jeu vidéo » justement. Inutile de dire que les combats en zones ouvertes sont beaucoup plus intéressants en matière d’approches (plus de possibilité pour se planquer, pour contourner, pour surprendre, etc.). On peut aussi tiquer sur le côté parfois surjoué d’Ellie qui devient, par moments, une véritable tête-à-claques aussi insupportable que charismatique. Bien évidemment, tous ces côtés sont assumés et chacun pourra avoir un ressenti différent vis-à-vis des protagonistes principaux. On comprend alors pourquoi Naughty Dog a instauré le personnage d’Abigail qui vient contrebalancer le sentiment de vengeance (même si ça peut surprendre au vu des premières heures) dépeint par Ellie durant toute l’aventure. Impossible également de ne pas citer le personnage de Dina, proche d’Ellie et qui instaure un sentiment de douceur malgré son expérience du combat. On aurait d’ailleurs aimé que certains protagonistes secondaires soient plus développés tant Naughty Dog maîtrise son sujet. À l’image de sa réalisation hallucinante.
VIOLENCE GRAPHIQUE
Le studio californien avait montré sa toute puissance avec Uncharted 4 mais The Last of Us Part II va encore plus loin dans le détail et le réalisme. Au-delà des modélisations dantesques, le jeu révèle des expressions faciales proprement à tomber par terre. Le mode photo est d’ailleurs un vrai bijou de créativité tant le contraste, les lumières, les effets (l’eau mes amis, l’eau est juste folle !) ou la météo sont parmi les plus impressionnants jamais vus. Les textures sont si photo-réalistes qu’on a véritablement le sentiment d’assister et de participer à un long-métrage. Chaque plan est quasiment un tableau à lui seul et on ne parle même pas des environnements somptueux et d’une variété assez incroyable. Neil Druckmann avait parlé de nombreux endroits à visiter et il n’a pas menti. Le nombre de lieux à découvrir est dingue et l’agréable surprise provient d’un level design qui va bien au-delà du simple couloir à suivre. Bref, techniquement, The Last of Us Part II est un prodige, ni plus, ni moins. Et cela vient appuyer le fait que développer un jeu sur une seule et unique plate-forme permet de pousser la machine dans ses derniers retranchements. On nous aurait montré The Last of Us Part II à la sortie de la PlayStation 4 en 2013, on ne l’aurait jamais cru. Cette impression est renforcée par un sound design à la hauteur des graphismes, des voix (on l’a déjà dit) extraordinaires et une musique, tout en suspension, très réussie. Gustavo Santaolalla a encore fait des miracles et l’équipe a d’ailleurs trouvé une belle astuce pour permettre aux joueurs de s’essayer à la guitare. De bout en bout, et à mesure que l’on progresse, on a du mal à imaginer tout le travail colossal de Naughty Dog qui réside derrière The Last of Us Part II. Titanesque, tout simplement titanesque et les cinq ans de développement sont largement compréhensibles. L’autre point sur lequel il faut absolument insister, et ça a d’ailleurs été fait par nos confrères, n’est autre que l’accessibilité du jeu pour les personnes souffrant d’handicaps. Il y a quelques années, un joueur a écrit une lettre au studio pour expliquer qu’il n’avait jamais pu terminer Uncharted 2. Cette missive a marqué toute l’équipe et elle a véritablement mis le paquet pour leur nouveau jeu. C’est simple, en la matière, The Last of Us Part II est tout simplement un modèle, une référence et une leçon donnée aux autres compagnies du jeu vidéo. Accessibilité motrice, visuelle, sonore… rien n’a été oublié ! Outre le fait de pouvoir paramétrer les touches comme bon vous semble, le titre multiplie les aides visuelles en répondant à trois types de daltonisme, en agrandissant l’interface, en proposant différents niveaux de contraste et même en disposant d’un mode loupe. Toute la partie audio a également fait l’objet d’ajustements pour s’adapter aux différents handicaps. Les joueurs peuvent ainsi profiter d’une assistance vocale qui fait penser au système utilisé dans Enemy Zero sur Saturn (l’héroïne utilise le son pour détecter des entités invisibles). Enfin, il y a plein d’options pour empêcher l’utilisateur de tomber d’un ravin, pour lui permettre de nager ou courir automatiquement, etc. Tout a été pensé dans le bon sens et on sent que ça n’a vraiment pas été pris à la légère. Clairement, c’est génial et il faut absolument que tout le monde suive cet exemple.
On va pouvoir s’arrêter. Même s’il ne chamboule pas nos habitudes en termes de gameplay et souffre de longueurs qui auraient pu être évitées, cela demeure un jeu d’exception et assurément l’une des merveilles de cette génération de machines. Les dernières séquences, notamment la toute dernière, va interpeler et pourrait ne pas plaire à tout le monde. Ce fut globalement le cas de votre serviteur qui aurait aimé que l’épilogue ne se contente pas d’une certaine facilité. Tout ça est évidemment du chipotage et The Last of Us Part II mérite un respect éternel. Certains le trouveront culte, d’autres non mais ce qui est sûr, c’est que c’est une œuvre majeure qui fera date. Encore une fois, bravo Naughty Dog !
VERDICT DU RÉDACTEUR : TRÈS BON
The Last of Us Part II nous aura fait languir mais il tient ses promesses. Une nouvelle fois, le studio de Evan Wells et Neil Druckmann frappe très fort sur le plan de la réalisation et laisse songeur quant aux futures avancées technologiques. En ce qui concerne le scénario, les personnages, la mise en scène et les innombrables séquences, le jeu est d’une richesse abyssale. Souffrant de longueurs un peu agaçantes et de choix à débats, il ne profite plus de l’effet de surprise mais parvient grâce à son extraordinaire propos à marquer les esprits. Trente heures d’une épopée qui feront date.
Points forts :
- Un gameplay bien plus poussé
- Des expressions criantes de réalisme
- Des graphismes hallucinants
- Un level design à montrer dans toutes les écoles
- Une VF fantastique
- Mise en scène remarquable
- Le mélange émotionnel
- Les options nombreuses d’accessibilité
- Absence de manichéisme
- L’écriture et les personnages d’Abby et Dina
- Une variété visuelle dingue
- L’audio à la hauteur du graphisme
Points faibles :
- Des longueurs éprouvantes – surtout à la fin
- Certains côtés « trop jeu vidéo »
- Quelques personnages manquant de profondeur
- Terminé l’effet de surprise
- Une vengeance exacerbée sujette à débats
Éditeur : Sony – Développeur : Naughty Dog – Genre : Action/Infiltration – Date de sortie : 19 juin 2020 – Plateformes : PlayStation 4