Soldats Inconnus, Mémoires de la Grande Guerre
Aurelie Knosp
- Une narration originale
- Facile à prendre en mains
- Un devoir de mémoire poignant et nécessaire
- Éducatif sans l'imposer
- Humaniste et non patriotique
- Direction artistique somptueuse et colorée
- Un hommage à la BD
- Une galerie de personnages attachants, surtout le plus poilu
- Peu de challenge
- Rien de révolutionnaire
Lorsque les pires horreurs engendrent les plus belles œuvres !
« Je crois en l’homme, ce lèche sang.Malgré tout ce qu’il a pu faire de mortel et d’irréparable »
Plus ou moins volontairement, j’ai toujours oublié les cours d’histoire. Marre de ces querelles sans queue ni tête, de ces conflits princiers de territoire, je préférais les contes du soir. Dégoûtée des horreurs engendrées par la folie de la guerre, du patriotisme et de l’abus de pouvoir, je réfrénais ce savoir.
Pourtant, il serait bête d’oublier que derrière chaque conflit, se cachent des personnes ordinaires, des citoyens qui font preuve de ténacité et de courage. Alors, pour nous raconter leur histoire, une petite équipe d’Ubisoft Montpellier a fait le pas de s’attaquer à la première guerre mondiale. En développant Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, une poignée d’hommes rend hommage aux centaines de milliers de soldats disparus sur le front. Vont-ils réussir à sensibiliser autant de joueurs sur les déchirures du siècle passé ?
Loin de l’héroïsme ou de la gloire au combat, apprenons la nécessité de s’entraider et de soutenir son prochain. Soldats Inconnus est un jeu d’énigmes et d’aventure qui nous emporte dans la Grande Guerre, passant des éclats de joie aux éclats d’obus :
Soldats Inconnus est un jeu indispensable pour de nombreuses raisons.
« Ne pleurez donc pas sur les horreurs de la guerre. Avant elle nous n’avions que la surface »
Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre raconte les combats de 14/18. Or, la guerre ce n’est pas une horde de militaires surentrainés qui se tirent dessus à coup d’explosions étoilées, dans un terrain de jeu pour enfants. Un conflit comme celui de la première guerre mondiale implique des personnes arrachées de leur quotidien. Des hommes séparés de leur famille, laissant potentiellement veuves et orphelins derrière eux.
Et ce sont ces véritables histoires, retrouvées dans de nombreuses lettres et journaux intimes, qui servent de fil conducteur à cette aventure. Ainsi, Soldats Inconnus narre le destin croisé de cinq personnages fictifs, enrôlés malgré eux dans les déboires de la Grande Guerre.
Suivons Émile, vieux paysan lorrain, qui doit retrouver son beau fils, Karl. Celui-ci, d’origine allemande est pris dans les lignes adverses. Pour les aider à quitter les rangs, vous rencontrez le téméraire américain Freddie, et la belge Anna, une aide soignante indispensable sur le front. À l’arrière Marie élève seule son fils, attendant avec inquiétude le retour de son père Emile et Karl, son mari.
Ces nombreux combattants se croisent à plusieurs moments du jeu et doivent s’aider. Tour à tour, nous incarnons quatre d’entre eux et utilisons leurs compétences pour sortir de cet enfer. Finement écrits, leurs récits sont partagés dans des journaux intimes. Et plutôt que de savoir quel camp gagnera la guerre, nous nous attachons aux personnages en les aidant à surmonter des difficultés plus personnelles.
Or, cette longue épopée serait impossible sans l’aide du meilleur ami de l’homme! Walt est un berger allemand, qui ne cesse de traîner dans nos pâtes mais qui nous sauvera à plusieurs occasions. Mignon, malin, courageux, véritable poilu (parmi les poilus) qui s’encanaille de la boue, Walt est le personnage le plus attachant du jeu. Et ce n’est pas anodin, puis que notre fidèle compagnon sert de fil rouge. Voix off, narrateur compatissant de cette aventure humaine, il nous emporte d’un bout à l’autre de la carte, à la rencontre de ces destins croisés.
Enfin, Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre est construit sur des événements historiques. Nous les retrouvons dans un journal de faits réels, disponible dans le jeu. De la même façon, de nombreux objets sont à chercher afin d’en savoir plus sur le quotidien des soldats. Ces documents et le scénario ont été rédigés en partenariat avec la Mission Centenaire et le documentaire Apocalypse.
Sans l’imposer, Soldats Inconnus profite ainsi d’une énorme portée pédagogique. Surtout, le jeu n’oublie pas d’apporter un ton parfois sévère mais jamais moralisateur, souvent drôle et toujours juste. Car, avant tout, il s’agit d’une œuvre émouvante et ludique.
« Pas de Glaive. Mais l’espoir »
Disons le tout de suite, avant que ne s’abatte la foudre des joueurs aguerris, Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre est un jeu qui s’adresse au grand public. Avant que vous ne refermiez cette page, précisons qu’il s’agit d’un puzzle game original bourré de bonnes idées. Les énigmes sont donc assez faciles mais la solution n’est pas de cliquer partout. De plus, les morts ne sont pas punitives, et les points de sauvegarde sont très nombreux. Estampillé 12+, le sang ne coule pas à flot, pour nous émouvoir ou nous dégoutter. Les indices visuels et sonores comme les chutes de bombes suffisent nous faire comprendre les sévices de cette guerre.
Au long de quatre chapitres, les dates et les lieus clefs de 14/18 sont repris. Pour vivre autrement les moments forts de la bataille, aucun personnage historique n’est mentionné. Et nous restons concentrés sur nos héros aussi fantasques qu’attachants. Le scénario reste linéaire, mais le rythme du jeu ne souffre d’aucun temps mort.
Les missions de Soldats Inconnus oscillent entre énigmes, plateformes, et réflexes. Pour cela, nos quatre vaillants protagonistes ont un panel d’actions similaires, actionner des leviers, grimper, frapper, ramasser et lancer. La richesse vient surtout des actions spécifiques des personnages et de leur complémentarité. Émile creuse les sols friables avec sa louche, alors que Freddie coupe les barbelés avec sa pince. Anna soigne les blessés dans des séquences de QTE, pendant que Karl se la joue Sam Fisher dans des moments d’infiltration.
Mais surtout, nous ne serions rien sans le bon Walt, notre fidèle compagnon. Ramper, creuser, se faufiler, sentir, ramasser, distraire un ennemi, tirer… Les actions ne manquent pas pour rendre hommage au meilleur ami de l’homme. C’est aussi un excellent moyen pour s’attacher aux autres personnages lorsqu’il montre de l’affection à cet animal sans patrie.
Soldats Inconnus met donc en avant un système de jeu basé sur l’entraide. Grâce aux indices et une prise en main rapide, le jeu est simple à maîtriser. Surtout le joueur ne doit pas se sentir brusqué ou bloqué dans sa progression, puisque l’objectif est de fournir un généreux panneĺ d’émotions allant du rire aux larmes.
« Tandis que les crachats rouges de la mitraille sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu »
La direction artistique d’une grande finesse sert aussi ce propos. Difficile de ne pas s’amuser des cabrioles de Walt ou de ne pas s’attrister des paysages en ruines. Les décors et les personnages ne manquent pourtant pas de couleurs et de variété. Digne d’un dessin animé de Chomet, les animations sont pleines d’humour et de vie. De plus, chaque individu est très typé avec un physique soulignant parfaitement la personnalité de chacun. Alors qu’Eddie est un jeune athlète prêt à foncer dans le tas car il n’a plus rien à perdre; Émile avance lentement mais sûrement portant le poids des années et la responsabilité d’une fille et d’un petit fils.
De plus, Soldats Inconnus est ancré dans l’univers de la Bande Dessinée. Le découpage des actions en cases et les ellipses temporelles portent le récit. Enfin, les gestes expressifs des protagonistes et les bulles remplies d’idéogrammes sont un véritable hommage au neuvième art.
L’identité visuelle, très proche de la nouvelle vague apportée par des auteurs comme Tardi ou Larcenet permettent de véhiculer beaucoup d’humanité dans l’univers de cette » drôle de guerre ».
Le directeur artistique et créatif du projet, Paul Tumelaire (faîtes lui confiance, il a travaillé sur King Kong, Beyond Good and Evil et les deux derniers Rayman) tire le meilleur parti de l’UbiArt Framework et de sa devise « Donner vie à l’art ».
Son talent, accompagné d’autres artistes, est aussi mis en avant par la musique qui vous emporte dès les premières notes du jeu. La bande originale, inspirée par le travail du compositeur Yann Tiersen (Amélie Poulain,Intouchables..), est empruntée à l’APM. Un choix judicieux qui intensifie les moments de joie ou de tristesse de Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre.
Enfin, pour suivre l’histoire, nous sommes bercés par la voix quasi hypnotique du comédien Marc Cassot (Dumbledore dans Harry Potter mais aussi le père Noël de Kingdom Hearts 2 …).
Conclusion de la rédactrice : « Je crois en l’homme, pour le jeu de sa fantaisie, pour son vertige devant l’étoile »
Jouer à Soldats Inconnus n’est pas recommandé, mais plutôt obligatoire. Il en va de notre devoir de joueurs avides de belles expériences et de citoyens du monde respectueux de l’Histoire. Grâce à une petite équipe de passionnés et vétérans dans la création de jeux vidéo, Ubisoft est allé un cran plus loin dans l’utilisation de l’UbiArt Framework au service de l’émotion.
À travers des personnages qui nous ressemblent, Soldats Inconnus raconte l’histoire de nos ancêtres. Celle d’hommes qui se sont sacrifiés pour protéger leurs proches. Une idée risquée et à saluer, car traitée avec beaucoup de finesse pour un jeu amusant, original et émouvant.
Même si cette guerre n’a finalement pas été la « Der des der », gardons à l’esprit que nous sommes parmi les dernières générations à avoir eu des grands parents touchés par les horreurs d’un conflit mondial. » Nous devons chérir leur mémoire. Nous n’avons pas le droit de l’oublier « . Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre est donc une œuvre à découvrir et surtout à partager !