Si le nom de Lockheed Martin ne vous dit rien, c’est normal. Il s’agit d’une société née en 1995 spécialisée dans la défense et la sécurité. Elle conçoit différents produits gravitant autour de l’électronique et la technologie. Avions et voitures militaires, missiles, radars, satellites… tout y passe ! Vous vous demandez sûrement ce que ça vient faire avec SEGA ? Vous allez comprendre…
En 1990, fort de ses multiples succès en arcade, Yu Suzuki et sa team de l’AM#2 se lance sur un projet titanesque : Virtua Racing. Dans un premier temps, il est intéressé pour réaliser une sorte de Hang On (son fameux jeu de moto) en 3D mais l’idée est vite oubliée car elle oblige l’affichage d’un pilote et donc un calcul de polygones supplémentaire. Le créateur se met alors à réfléchir à un jeu de rallye, façon Paris-Dakar, mais la difficulté est trop élevée à cause des innombrables effets dynamiques que cela engendre. À l’époque, la F1 est reine et c’est donc cette troisième solution que retient l’AM2. Au prix de nombreux efforts, Virtua Racing voit le jour et devient un véritable phénomène. Mais pour obtenir un tel résultat, Yu Suzuki a dû puiser dans une ressource insoupçonnée : General Electronic Aerospace, aussi appelée GE Aerospace. Cette entreprise, qui deviendra une filiale de Martin Marietta en 1993, va être “absorbée” en 1995 pour devenir Lockheed Martin (qui découle de la fusion entre Martin Marietta et Lockheed Corporation). C’est bon, vous suivez toujours ?
En 1990, Yu Suzuki est lassé par la 2D et les restrictions techniques. Il souhaite aller plus loin et il a alors une idée qui va retourner tous ses collègues, comme il l’explique :
“Avoir des discussions avec Lockheed Martin était très difficile à l’époque. Ils m’ont dit qu’ils adapteraient leurs tarifs à un prix accessible, mais leur définition de l’accessibilité correspondait tout de même à 200.000 $, soit un dixième du prix de base qui était de 2 millions de dollars. Bien évidemment, le Président de SEGA voulait qu’on négocie à 50 $. Si vous dépensez 2 millions de dollars par puce (ou chipset), le coût est de 2 millions de dollars. En revanche, si vous vendez 2 millions de consoles, celui-ci ne revient plus qu’à 1 $ par puce. Les discussions ont été très délicates mais on est parvenu à bloquer un tarif de 5 000 $. Personne chez SEGA ne me croyait lorsque j’ai dit que je voulais acheter cette technologie (militaire) pour nos jeux. À l’époque, GE Aerial & Space (ou Aerospace), CRC et Evans and Sutherland (autrement dit des sociétés spécialisées dans la défense et la sécurité militaire) étaient les trois compagnies majeures du secteur, notamment en matière de simulateur virtuel. L’URSS s’est effondrée et le gouvernement en place n’a pas dépensé l’argent comme cela devait l’être pour l’achat de matériel militaire. Par conséquent, ces entreprises ont dû trouver d’autres moyens de revenus.“
Vous l’aurez compris, l’Histoire et le matériel militaire ont un lien avec les succès de SEGA en arcade. En capitalisant sur ce choix étonnant, Yu Suzuki s’est entouré de technologie jusqu’à là destinée à l’armée. Là où cela devient fort intéressant, c’est que SEGA, à la fin de l’année 1995, a également fait appel à Lockheed Martin pour concevoir une certaine Saturn 2. Dans le magazine Next Generation, et plus précisément dans le numéro de novembre 95, l’auteur s’intéresse à cette étroite relation entre SEGA et Lockheed Martin. On y apprend que la firme, basée en Floride et sous contrat avec la NASA, est derrière la technologie embarquée dans les cartes Model 1 & 2 de SEGA (rien d’étonnant jusqu’à là). En revanche, selon quelques indiscrétions, Lockheed Martin est en train de travailler sur une évolution de la Saturn depuis le mois de septembre et cette itération doit être disponible pour les développeurs à compter de l’année 96. Le rédacteur explique qu’il n’y a rien d’anormal, pour une société de jeux vidéo, de s’atteler à sa future console alors même que sa nouvelle machine de salon n’est pas bien vieille. Mais dans le cas de SEGA, il s’agit plutôt d’une réaction visant à atténuer la déception des joueurs et des développeurs envers la Saturn. L’article nous apprend que SEGA a déjà approché Lockheed Martin, un an auparavant, afin d’établir l’architecture d’une nouvelle console mais les relations très fortes entre SEGA et Hitachi ont obligé la firme du hérisson à faire marche arrière. Désormais, avec la Saturn 2, SEGA veut frapper un grand coup… quitte à décevoir les acheteurs de la Saturn. Lockheed Martin s’appuie alors sur sa série de puces graphiques, les R3D/100. La nouvelle console (ou le nouveau device visant à améliorer la Saturn) doit inclure un processeur de calcul géométrique et un processeur graphique. À ces ceux-là, il faut ajouter un processeur dédié aux textures pour un résultat d’ensemble remarquable.
Cette histoire est assez incroyable, dans le sens où SEGA aurait très vite anticipé l’échec de la Saturn. Pire, on parle d’une Saturn 2 développée aux alentours de fin 95… alors que la Saturn venait de sortir en Europe. Dans ces conditions, on imagine mal SEGA tirer un trait sur sa Saturn pour dévoiler une Saturn 2. Il est évident que Lockheed Martin bossait sur une upgrade de la console de base. C’est peut-être la fameuse cartouche “Eclipse” qui devait améliorer les performances de la Saturn afin de faire tourner des jeux comme Virtua Fighter 3. Mais avec un coût de 700 euros (soit environ 5 000 balles), on voit mal comment un tel projet pouvait être viable commercialement parlant. Par ailleurs, les constructeurs avaient beau se tirer la bourre, nombreux sont ceux à s’être rapprochés. Ce fut le cas de SEGA et Sony notamment (Tom Kalinske, le boss de SEGA of America a souhaité un partenariat avec Sony que Hayao Nakayama, boss de SEGA Japon, a totalement rejeté) mais aussi SEGA avec la 3DO M2 et Matsushita. SEGA s’est également tourné vers le marché du PC et s’est rapproché de 3DFX, etc. Bref, c’est toute cette expérience qui mènera à la future Dreamcast. À l’origine, une Saturn 2 était bel et bien prévue, mais il s’agissait probablement d’une upgrade de la console d’origine, rien de plus. Malgré tout, c’est encore une fois la preuve que la Saturn n’est vraiment pas née sous une bonne étoile.
Edit : Voici un documentaire très intéressant sur l’histoire de la saturn