Fin janvier 2019. Dire que cette critique arrive en retard est un euphémisme. Cela fait bientôt trois mois que l’internet moderne s’est enflammé pour les aventures d’Arthur Morgan. Textes en pagaille, vidéo par milliers, podcasts passionnés… Red Dead Redemption II a fait tourner bien des têtes. Comme tout le monde, je me suis jeté sur le blockbuster de Rockstar, mais le contenu est d’une telle densité que le gigantisme de cette fable historique m’a littéralement submergé. Le temps a passé, j’ai suivi la trame principale et je m’en suis écarté pour me laisser aspirer par les innombrables activités d’un open-world sans équivalent à ce jour. De l’aveu de l’équipe de développement, et c’est sans doute pour cette raison que la polémique a éclaté sur les conditions de travail, aucun jeu signé Rockstar n’a demandé un tel investissement. Et rares sont les jeux à m’avoir décollé à ce point du fauteuil.
1899. Dans une Amérique meurtrie par la Guerre de Sécession, les hors-la-loi sont en voie de disparition. Bien que traqués, ils poursuivent leurs méfaits pour survivre et se battent pour une cause qu’ils pensent juste : la liberté. Le gang de Dutch Van Der Linde est l’un des derniers du Far West à poursuivre sa marche en avant mais ses membres, chacun avec sa spécialité, commencent à douter. Et c’est à cet instant précis que débute l’un des jeux les plus immersifs de ces dernières années. Le froid, glacial, vient fouetter le visage de la vingtaine d’âmes formant le groupe de Dutch. Après un braquage qui tourne mal, la bande est obligée de s’exiler dans les montagnes profondes de l’est du pays. Ce prologue, qui dure quelques heures, est le premier contact du joueur avec des individus égarés, aussi bien moralement que physiquement. Si Dutch, en chef de bande, tente de les remobiliser, on ressent une certaine détresse. L’environnement, d’abord, est sans pitié. Ensuite, le souvenir des compagnons décédés est vivace. Ce coup, ce dernier gros coup, d’une valeur de 150 000 dollars, devait être le début d’une nouvelle vie. Mais c’était sans compter sur les agents de la Pinkerson qui sont bien décidés à mettre un terme aux méfaits de ces criminels.
Hors-la-loi
Les débuts avec le jeu sont volontairement difficiles. La neige et le brouillard sont si denses que le joueur ne voit rien. Pour se repérer, il suit les indications de ses comparses et croise les doigts pour que sa monture tienne le choc dans cet environnement hostile. Après d’innombrables efforts, la bande parvient à trouver un refuge… et on découvre dans quelle galère on a mis les pieds. La bande de Dutch n’a rien de la petite famille tranquille. On y trouve un cuisinier un peu bourru, des prostituées manipulatrices, des adeptes du braquage et des explosifs, un révérend qui aime la bouteille, un comptable un peu trop près de ses sous et même un môme. Ces Robins des Bois ont compris que leur caste est au bout du chemin mais ils ont décidé de lutter jusqu’au bout. Et le joueur avec.
Morgan de toi
Lors de sa présentation, Arthur Morgan a divisé les foules. Comparé au charismatique John Marston, le héros semblait un peu lisse, presque trop lambda. Mais en découvrant Red Dead Redemption II, on comprend que ce sentiment a été voulu par les développeurs. Au fil de la progression, on s’aperçoit que Morgan est un protagoniste torturé et qui a tout du parfait criminel. Il peut être très respectueux comme devenir la pire ordure lorsque la situation l’impose. Le personnage ronchonne souvent mais il obéit aux ordres, jusqu’au moment où le scénario fait évoluer sa nature. Notre armoire à glace (car il est sacrément bâti) aime prendre du bon temps, se frotter aux individus les plus dangereux ou s’essayer à diverses activités plus ou moins frauduleuses. Mais il sait également faire preuve de compassion ou d’humanité. Cette dualité est particulièrement poignante et démontre une nouvelle fois le sens de l’écriture des Houser. Red Dead Redemption II, s’il se focalise logiquement sur l’anti-héros que l’on incarne, est avant tout une grande fresque relatant le parcours sinueux d’hommes et de femmes aspirant à une liberté illusoire. Et à moins d’être totalement hermétique au style Rockstar, le titre est d’une force narrative stupéfiante. Il suffit de passer du temps dans le camp pour s’en convaincre.
Un pour tous
Si l’action se déroule dans différents lieux des États-Unis et que la carte est absolument gigantesque, le camp demeure votre point de repère. C’est en ce lieu que vous pouvez discuter avec vos comparses, apprendre à les connaître, les aider lorsqu’ils le demandent ou tout simplement vous glisser, le soir au coin du feu, sur une chaise pour écouter l’un d’entre eux jouer de la guitare ou raconter tout un tas d’histoires. C’est en ce lieu que vous pouvez, au même titre que dans les hôtels, vous refaire une beauté (car la barbe et les cheveux poussent) ou changer de fringues. Le camp rassemble la communauté et chacun doit y apporter sa contribution en veillant à ce que les réserves d’argent, de nourriture, de munitions ou de soins soient suffisamment remplies. Et c’est là qu’on comprend que Red Dead Redemption II, au-delà de ses petites activités ludiques (poker, dominos, jeu du couteau…), va très loin. Car s’il est important de ramener du poisson ou du gibier, il est plus que recommandé de chasser des cibles de qualité. Un cerf sera de bien meilleure qualité si son corps n’est pas passé sous une roue ou s’il n’a pas passé du temps dans l’eau. Dans RDR2, la chasse prend tout son sens car il faut non seulement pister la bête mais aussi veiller à être le plus discret possible, tout en évitant de dégager une odeur désagréable. Avant de se mettre en chasse, un passage par la baignoire d’un hôtel n’est pas inutile. Quant à la pêche, la prise ne devient réellement intéressante que dans certains coins d’eau. Il faut être éveillé en permanence et réfléchir de façon logique car Rockstar a pensé à tout, absolument à tout. Si vous tirez sur un animal, même sans le dépecer, le sang de ce dernier coulera sur votre épaule lorsque vous le porterez. De la même manière, les animaux réagissent en fonction des aptitudes de leur espèce (plus de 200, excusez du peu) et il n’est pas rare de se faire surprendre par un lynx qui s’avère bien plus vif que Morgan. Enfin, et j’en parle parce que ça m’est arrivé, assurez-vous d’huiler vos armes avant de chasser un ours. Un colt qui s’enraye devant un grizzli, ça ne pardonne pas ! De la même façon, ne chassez pas avec une veste tachée de sang, vous deviendrez la proie. On peut également parler de la relation avec le cheval qui évolue selon votre attitude. Vous pouvez en capturer ou encore en acheter et chaque canasson a son caractère. Il faut donc s’adapter et veiller à le nourrir, le pouponner, lui parler ou encore le brosser. Red Dead Redemption II, dans tout ce qu’il fait, est d’un réalisme saisissant. Et c’est justement ce qui peut gêner.
Du réalisme à outrance
De la démarche du personnage, qui peut sembler lente, à l’utilisation de son inventaire, tout est d’une précision chirurgicale. À l’inverse des autres titres, Red Dead Redemption II ne fait pas « jeu vidéo ». Lorsque Morgan attrape ses jumelles, il les prend dans sa sacoche avant de les empoigner. Dans le cadre d’un hold-up, il va chercher le foulard à son cou pour l’amener à sa bouche. Lors de l’utilisation d’une arme (qu’il va avoir sur lui ou récupérer sur son cheval), le héros peut mettre en joue la cible, la provoquer, la menacer ou l’abattre sans aucune sommation. Selon le type de situations rencontrées, Arthur Morgan réagit différemment et cette sensation de vie, de réel, est absolument incroyable. Chaque badaud, à l’instar de Shenmue, a un emploi du temps et vaque à ses occupations. Cela va des pochtrons du coin au blessé de guerre en passant par les ouvriers qui trimballent des planches. On croise aussi des animaux (avec lesquels on peut interagir) ou des demoiselles qui ne manquent pas de vous accoster. Le niveau de réalisme est absolument sidérant et ce n’est pas un mensonge de dire qu’il faut terminer le jeu plusieurs fois pour tout voir. La densité du jeu est si incroyable qu’il est certainement possible d’écrire un roman pour raconter sa conception. Mais du coup, il faut bien l’avouer, cette surdose de réalisme a un double effet kiss cool (désolé pour les plus jeunes) : il faut constamment se farcir un gameplay d’une lourdeur abyssale par rapport à tout ce qui se fait. On s’y habitue bien évidemment, malgré des gunfights qui souffrent d’un système de couverture perfectible, mais on a parfois du mal à comprendre l’ergonomie imaginée par les développeurs. Vous aurez ainsi, selon la situation, deux touches pour fouiller un corps ou choper un objet. Pas facile de s’y retrouver dans tout ça ! Et si vous avez le malheur de grossir (car oui, le poids, la force et la réactivité de Morgan évoluent en fonction de son alimentation), ça sera encore pire ! L’idée est géniale mais Rockstar confirme qu’il n’a jamais été légendaire dans le réglage de ses gameplays. En revanche, pour la réalisation…
Révolution visuelle
Les développeurs qui ont travaillé sur Red Dead Redemption II ont un talent démesuré. Mais qu’est-ce qu’ils nous ont fait là ? C’est plus un jeu, c’est une carte postale ! D’un photo-réalisme saisissant, le titre propose un visuel éblouissant où on ressent la vie à chaque instant. La gestion de la lumière est révolutionnaire et offre des panoramas sublimes. Il faut voir les rayons de soleil traverser les feuillages, la brume se lever délicatement ou le ciel se charger d’électricité pour le croire. Jamais des conditions météo n’ont été aussi réussies ! Il y a de quoi rester bouche bée quand le tonnerre gronde, que les éclairs zèbrent le ciel, que la pluie et le vent se déchaînent. Pluie qui est tout simplement la plus hallucinante jamais conçue dans une épopée virtuelle (elle va même jusqu’à épouser les toits des bâtiments !). Qu’il s’agisse de la rosée du matin, de la petite bruine, de trombes qui font que l’eau s’infiltre dans la terre (en passant en vue subjective, on découvre tout ce que les développeurs ont imaginé et c’est juste dingue), Red Dead Redemption II n’a pas d’équivalent. Même chose pour le vent qui souffle de différentes manières, dans différentes directions. Le visuel de ce jeu est d’un tel niveau qu’on peut se demander si les premiers jeux de la future génération de machines feront mieux en matière de textures, de finesse ou encore d’animations. D’ailleurs, en parlant d’animations, c’est là encore un sans-faute. Rockstar est allé au bout de ses possibilités. Cela me fait penser aux animations des jeux dans les années 90, qui étaient systématiquement sabrées pour s’adapter aux limitations techniques et au gameplay. Par exemple, dans Donkey Kong Country, les animations ont été conçues originellement en 24 images par seconde et les mouvements étaient d’une fluidité parfaite. Mais pour le jeu, « et pour éviter qu’un simple saut dure dix secondes », celles-ci ont été gommées de toutes leurs étapes intermédiaires. Avec Red Dead Redemption II, et c’est pour ça que ça peut gêner, c’est tout le contraire qui s’est produit. Tout ce que fait Morgan est d’un naturel désarmant. Mais ce qui retient l’attention, plus que tout autre chose, c’est assurément les réactions et attitudes du cheval. Là, on est sur une autre planète par rapport aux autres titres. À côté, celui de The Witcher III est une esquisse pour enfants. Qu’il soit au pas, au trot ou au galop, on a l’impression de le voir vivre et évoluer sous nos yeux. Et il n’y a rien de plus fort que de perdre son compagnon à cause d’une balle perdue ou d’un saut mal négocié. Le voir se méfier lorsqu’on approche d’une zone hostile, le sentir craintif, le calmer lorsqu’il prend peur… nous sommes devant l’animal virtuel le plus réaliste jamais conçu. Ni plus, ni moins. Et tout le jeu, dans sa globalité, est de ce niveau. C’est dire le prodige accompli par les équipes de Rockstar. Et on n’a même pas parlé de la musique, des bruitages, du sound design hallucinant… Red Dead Redemption II est si époustouflant qu’on en parlera encore dans cinq, voire dix ans. Avec ce soft, le terme « bluffant » n’est pas usurpé, c’est une réalité.
On fera un article à part pour Red Dead Online.
Conclusion du rédacteur : CULTE
Sans rien réinventer et en attendant les futurs open-worlds, Rockstar met à l’amende tout ce qui existe sur le plan visuel et technique. Pour mettre en place un tel mastodonte, il a fallu huit ans de travail, 1 200 comédiens, près de 700 doubleurs et plus de 1 000 développeurs répartis en plusieurs studios. En termes de réalisation, il y aura un avant et un après Red Dead Redemption II, c’est une certitude. Impossible de ne pas se laisser happer par cet univers organique même si toutes les missions n’ont pas le même degré d’intérêt et d’intensité. Tout ou presque a déjà été dit sur le titre des frangins Houser mais il y a tant de choses à découvrir, à expérimenter qu’on pourrait encore en écrire des tartines. Donc inutile d’aller plus loin, ce n’est pas un hasard si Red Dead Redemption II truste tous les records depuis sa sortie, c’est juste un chef d’œuvre. Des semaines après, il a toujours quelque chose à nous offrir et il y a de fortes chances que l’on découvre des éléments inédits dans plusieurs années. Pour vivre une épopée qui n’a aucun équivalent, vous savez ce qu’il vous reste à faire… si ce n’est déjà fait. De toute façon, il n’y a pas assez de superlatifs dans la langue française pour exprimer la claque que colle ce jeu.
Points positifs :
Open-world ahurissant
Animations incroyables
Des conditions climatiques fabuleuses
Distance d’affichage phénoménale
O de fou
Durée de vie colossale
Le soin apporté aux chevaux
L’écriture des Houser
Doublages dignes d’Hollywood
Une map variée et gigantesque
Immersion complètement folle
La transition gameplay/cutscenes
Le camp et sa gestion
Organique, systémique, etc.
Jamais un jeu n’a été aussi vivant
Un jeu de la future génération en avance
Points négatifs :
La lourdeur assez folle du gameplay
Ergonomie perfectible
Système de couverture pas optimal
Éditeur : Rockstar – Développeur : Rockstar – Genre : Action/Aventure – Date de sortie : 26 octobre 2018 – Plateforme : Xbox One, PlayStation 4
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