[Replay d’un interview avec Massimo Guarini]
J’ai attendu trrrrrrrrrrès looooooooongtemps pour avoir cette interview. Mais vu la qualité des réponses de Massimo Guarini à propos de son parcours (musicien, producteur, puis game designer sur Shadows of the Damned et Murasaki Baby), je ne regrette pas d’avoir attendu.
Voici un créateur qui nous partage ses convictions et son monde. Une merveilleuse surprise d’un homme aussi fou et surréaliste que son jeu. Bonne lecture ! (Notez que l’introduction change mais la traduction de l’interview est fidèle à l’originale).
Aurélie Knosp : Quel a été votre parcours avant d’arriver dans le beau monde du jeu vidéo? Quel a été l’élément déclencheur pour venir y travailler et sur quels projets ?
Massimo Guarini : Ma vie avant les jeux video était sûrement mieux (rires). Avant de rejoindre Ubisoft comme Game Designer en 1999, je travaillais comme Designer graphique et Directeur artistique pour une agence de pub. Cependant, mon premier contact avec les jeux vidéo débuta en 1982, quand la Commodore 64 a été lancée. Je suppose que cette machine et les merveilleuses aventures que j’ai vécu avec ces simples jeux ont joué un grand rôle dans ma décision de devenir Game Designer.
A.K : Comment êtes-vous passé de Shadows of the Damned (jeu 3D action aventure sur consoles) à Murasaki Baby (jeu 2D puzzle game et platformer sur console portable) ?
Ces deux jeux ont-ils des points communs ?
M.G : J’essaie de diversifier mon travail autant que possible, surtout pour ne pas m’ennuyer. Je m’ennuie facilement quand je me force à faire le même thème un long moment. Shadow of the Damned et Murasaki Baby ont certainement des points communs, principalement le fait que les deux titres traitent du surréalisme et de thèmes grotesques, même s’ils sont totalement différents.
A.K : Qu’avez-vous appris en travaillant avec les talentueux (et un peu fous) Shinji Mikami, Suda-51 et Akira Yamaoka ?
M.G : La grande leçon est que vous devez croire en votre vision, ignorer les bruits de fond, et rester concentrer sur votre idée.
Vous devez avoir beaucoup de confiance en vous et prendre des risques.
A.K : Vous avez un parcours aussi riche que varié, passant sur des licences comme Naruto, Rayman et Tomb Raider, avec des postes allant de producteur à game Designer. Si vous ne deviez garder qu’un de ces métiers, vous choisiriez lequel ? Quel a été votre meilleur souvenir sur l’ensemble de ces projets (et le pire) ?
M.G : Malgré tous les titres et les boulots que j’ai pu faire, je me suis toujours considérée comme un Game Designer et plus précisément un Game Director. J’aime porter une vision creative et lui donner vie. Le sens de l’accomplissement et la satisfaction personnelle de donner vie à votre propre créature est une chose que je chéris sans tenir compte du titre que porte mon job ou du projet sur lequel je travaille. Mon pire cauchemar serait de continuer à travailler sur la même IP (propriété intellectuelle) plusieurs années, m’acharnant suite après suite, dans une tentative désespérée d’éviter n’importe quel risque créatif.
A.K : Vous avez quitté Grasshopper pour fonder “Ovosonico”. Pourquoi ? Quel est votre Leitmotiv pour cette nouvelle entreprise ? Pourquoi l’image de l’œuf vous tient tant à cœur ?
M.G : Je suppose que c’est une évolution naturelle dans ma vie. Je savais que je devais créer quelque chose entièrement à moi tôt ou tard. Et Ovosonico est le moyen d’apporter des idées personnelles à la vie tout en essayant d’innover et d’être frais.
Ovosonico signifie littéralement “Sonic Egg” (œuf sonique) en italien, et j’ai choisi ce nom car j’ai eu cette vision d’un œuf à la coque chantant à tue-tête avec la voix d’un Thérémine.
Ça n’avait précisément aucun sens et c’est absolument ce que j’aime.
Ça parle d’une vision et d’une émotion, et étant musicien moi-même, je considère les sons comme une source extrêmement puissante d’émotions.
A.K : Vous produisez aussi des musiques de films. Quel est le lien entre musique et jeux selon vous ?
M.G : La musique parle le langage universelle des émotions. Je ne peux pas vivre sans musique. Avec les jeux, je m’efforce de faire la même chose. J’essaie de créer quelque chose qui résonne pour les gens, sans les défier. Le plus souvent, mes idées de jeux se matérialisent en écoutant de la musique. Le lien entre les jeux et la musique est extrêmement fort pour moi et sûrement pas conventionnel.
A.K : Quelle a été l’idée de départ pour la création de Murasaki Baby ?
M.G : Murasaki Baby est né de l’émotion brute de parents tenant la main de leur enfant. Je voyageais en train alors que j’ai vu cette mère tenant la main de sa fille d’une façon si belle et délicate. Je devais tout de suite dessiner cette scène dans mon bloc-notes. J’ai ensuite saisi la main du bébé avec mon doigt sur le papier, et c’est de là qu’est venue l’idée du jeu.
A.K : Vouliez-vous absolument un jeu sur PSVita avec utilisation du tactile, ou est-ce une idée arrivée plus tard en collaboration avec Sony ?
M.G : Pour moi, l’idée est venue en premier, et ensuite j’ai choisi la meilleure technologie et plateforme pour lui donner vie. Murasaki Baby est une expérience entièrement tactile. La PSVita était la plateforme parfaite pour donner vie à la mécanique principale du jeu.
A.K : Quel a été votre terrible mission en étant à la fois directeur créatif et artistique dans ce vaste projet ?
M.G : Ce n’était pas une mission terrible. En réalité, je pense que j’ai été béni, car j’ai été capable de faire les deux. C’est évidemment un travail difficile, mais c’est quelque chose que plus de gens devrait faire. Car cela rend le jeu plus personnel, et par conséquent, unique.
Les équipes d’indépendant ont l’habitude d’utiliser cette approche avec l’esprit créatif d’une équipe de 3 à 4 personnes dépassant la direction de multiples rôles. Cependant, ce n’est définitivement pas le cas avec une grande ou même une moyenne équipe.
Nous ne nous définissons pas comme des indépendants, mais nous sommes assez petit pour pouvoir avoir le contrôle total sur ce que nous faisons, de façon très personnelle.
A.K : Murasaki Baby rappelle le titre du roman Murakami Baby (les bébés de la consigne automatique) est-ce dû à un hasard? Ou êtes vous influencé par cette œuvre, son auteur, ou d’autres écrivains ?
M.G : Je suppose que c’est juste le hasard. Murasaki veut dire “violet” en japonais, donc la vraie signification du titre du jeu est “le bébé violet”.
A.K : Vous semblez avoir dessiné une grande partie du jeu à la main (et même le programmeur s’est mis à écrire sur papier). Je vous admire pour ça mais pourquoi ce choix ?
M.G : J’aime le travail à la main. Bien que j’utilise la technologie pour donner vie aux idées, beaucoup trop souvent elle peut gêner, diluant des émotions à l’état brut et la beauté dans un portrait numérique plat. La perfection digitale n’a pas de beauté. Murasaki Baby n’est pas supposé être parfait : C’est un bébé effrayant avec quelque chose qui ne tourne pas rond dans sa tête. Les dessins à la main et chaque texture et détail du jeu était le seul moyen de donner vie à ce bébé.
A.K : Allez-vous retenter l’expérience (et qui sait avec de la peinture ou des crayons de couleur) pour de futurs jeux ?
M.G : Ça dépend. Normalement, je choisis ma technique artistique en fonction du type de jeu et du message que je veux donner. Un style artistique n’est pas nécessairement un dogme, mais plutôt un outil d’expression dans les mains d’un visionnaire.
A.K : Dans mon test de Murasaki Baby, je cite comme inspiration pour la direction artistique, Redon (araignée), Dali (œuf), Buñuel (œil) ? Ai-je raison ? Quelles sont les autres artistes et images qui vous inspirent ?
M.G : Je suis inspiré par presque tout ce que je vois, écoute, lis, regarde, consomme, et expérimente tous les jours de ma vie. Il n’y a vraiment pas de limites. La majorité de mes sources d’inspiration pour Murasaki Baby inclut des mangakas et des maîtres de l’horreur japonais comme Junji Ito, Hideshi Hino et surtout le fou Shintaro Kago.
A.K : On vous compare souvent à Tim Burton ? Désirez-vous que votre travaille s’en rapproche ou au contraire, voulez-vous vous en éloigner car cette comparaison vous agace ?
M.G : Ça ne me gêne pas, j’étais sûrement attiré par ses premières peintures et ses dessins des années 80′s. Son influence sur les histoires tristes d’enfants seuls a été énorme ces vingt dernières années, après tout. Cependant, je considère toujours le style artistique de Murasaki Baby comme très personnel.
A.K : Concernant la musique, quels sont les différents courants musicaux qui vous ont influencé ? Comment les avez-vous réinterprété pour mettre en musique Murasaki Baby ?
M.G : Pour Murasaki Baby, je voulais vraiment une approche minimaliste du design sonore et de la musique en général. Mais en même temps, je voulais des sons capables de tirer des sentiments mélodramatiques. Sigur Ros était définitivement une grande influence pour nous. Gianni Ricciardi a fait un excellent travail sur la bande son. Je me rappelle encore qu’il a composé le thème principal, allongé dans un lit d’hôpital avec la jambe cassée. Il ennuyait tout ses camarades de chambre avec son ordinateur et son clavier portables (rires).
A.K : Akira Yamaoka a aussi participé au générique. Comment avez-vous réussi une telle collaboration ?
M.G : Akira et moi sommes de bons amis, et après Shadows of the Damned, je voulais vraiment faire de nouveau quelque chose avec lui.
Murasaki Baby était une super occasion de collaborer de nouveau, pour le style unique et le mix entre des scènes surréalistes et horrifiques.
Akira est dans ce même imaginaire surréaliste et grotesque que moi. Et il était extrêmement heureux de pouvoir s’envoler en Italie pour travailler sur quelque chose de frais.
Son talent est incroyable, et je suis extrêmement reconnaissant pour sa contribution.
A.K : Vous travaillez beaucoup dehors (et je trouve ça aussi atypique que merveilleux). Pensez-vous que la nature rende plus heureux donc productif ?
M.G : Je pense que tout ce qui vous sort de votre bureau et de votre ordinateur peut vous rendre plus heureux donc productif. De mon opinion, la diversité est la clef de la créativité. Rester coller dans votre petit monde digital, pendant dix heures par jour, ne vous rend pas curieux. Ma suggestion à tous les développeurs est toujours la même : Sortez, vivez pleinement, jouez avec de la boue, salissez-vous. Vos sources d’inspiration sont ailleurs que là où vous les attendez, et pas nécessairement dans les jeux vidéo.
A.K : Que dois-je faire pour rejoindre votre équipe, pouvoir dessiner sous un arbre, manger les meilleurs pâtes italiennes et écouter un morceau de guitare de Yamaoka ?
M.G : Soyez juste vous-même et convainquez-moi que vous êtes une tête d’œuf (un intellectuel) capable de faire la différence.
A.K : Quel est votre meilleur souvenir sur la production de Muraski Baby? Avez-vous tout de même des regrets ?
M.G : Un de mes meilleurs souvenirs pour Murasaki Baby est notre voyage à Liverpool pour rencontrer les développeurs de Sony. Nous y étions pour parler d’un projet complètement différent, mais j’avais avec moi le pitch de Murasaki Baby dans mon sac.
Je me souviens qu’avant de reprendre l’avion de retour, je leur ai donné ces cinq pages de pitch.
Le matin suivant, je recevais un appel. Deux ans plus tard, vous pouvez jouer ces cinq petites pages sur votre PS Vita.
A.K : Enfin, pouvez-vous donner un conseil pour ceux qui aimeraient se lancer dans la création de jeux video ?
M.G : Sûrement pas. Il n’y a pas de formule ou de tour magique. Je voudrais juste dire, faîtes ce que vous aimez, et faîtes-le du mieux que possible. La vie est courte. Écoutez juste votre cœur et vos tripes, peu importe ce qu’ils disent. Vous regretterez rarement vos choix si vous faîtes ainsi.
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