Ils sont français, drôles et talentueux. Pour eux, nous pourrions presque crier cocorico vive les States ! Grâce à leur fan clip « badass » de GTA V, la forme nourrit le fond… Un slip troué, des chaussettes trop blanches, sexe, drogue et remix de rap… Tout y est pour apprécier la culture américaine avec humour et dérision.
Mais ne vous m’éprenez pas, sous cet air frivole, le clip est une prouesse technique et artistique. Les réalisateurs ont travaillé des mois sur ce projet. Et surtout, ce sont des joueurs aguerris et passionnés de la série GTA. Alors nous voulions en savoir plus sur ce clip et ses créateurs. Heureusement ils ont la langue bien pendue et l’esprit vic… malicieux !
Aurélie : Pouvez-vous dire votre rôle sur ce projet et comment avez-vous fait pour accorder vos talents ?
Julien Pierre & Etienne : Nous avons l’habitude de travailler ensemble au quotidien, chacun a son univers, sa personnalité mais on a une complémentarité redoutable. C’est ce qui nous a permis de créer notre propre style JP&E c’est : Pouvoir dire à quelqu’un que c’est un gros connard en le faisant marrer. On percute en finesse avec un groove explosif. Du moins on essaye! rire.
Aurélie : Quel est le point de départ de ce Fan Clip ? Et quel a été votre leitmotiv dans sa conception ?
Monsieur Monsieur : Etienne & JP nous ont parlé de leur concept pour le clip. À ce moment nous avions une demande de remix de Zebra Katz, le timing était parfait.
JP&E : Nous avions en tête depuis un moment l’idée de faire un clip qu’avec des images de GTA. Léo de Monsieur Monsieur qui travaille avec nous a toujours des tracks en stock à nous faire découvrir. Du coup, quand on lui a proposé le concept il a tout de suite cru en l’idée. On voulait faire ce clip avec GTA parce qu’on sait tous que les jeux vidéo vont être essentiels dans le futur. C’est un nouveau moyen d’expression à part entière, loin des stéréotypes ringards qui jugent le JV comme vecteur d’abrutissement des masses. Aujourd’hui le JV permet indéniablement de développer sa créativité et sa sensibilité.
L’idée c’était de réaliser un clip avec une production value de dingue “BIM!” Sans débourser un seul centime “BAM!” En s’éclatant “BOOM!” On voulait se faire plaisir et réaliser un clip qui nous aurait fait plaisir de découvrir.
Ensuite pour la conception pure et dure du clip, on s’est enfermé un week-end entier en war room (sans boire ni manger dans le noir le plus complet) pour définir un script réaliste. La difficulté était de trouver une histoire qui puisse être crescendo constamment en exploitant au mieux toute la palette et la dimension cinématographique du jeu. Il fallait éviter de tomber dans quelque chose de redondant, ou déjà vu en machinima.
Aurélie : Le résultat final répond-t-il à vos intentions initiales ? Pourquoi ?
JP&E : Oui et non. Évidemment, si on avait eu plus de temps on aurait peaufiné d’avantage. Avec des séquences in-game uniquement, on peut optimiser à l’infini et c’est toujours difficile d’être satisfait à 100%. À contrario, quand on réalise un film en shootant physiquement, la location et les acteurs sont bookés une durée limitée, donc quand on n’a pas ce qu’on veut, c’est plus compliqué.
Là on voulait absolument sortir le clip avant la sortie PC pour être les premiers à aller au bout de l’idée. On voulait bosser dessus comme des dingues car c’est là que la démarche prend tout son sens. Pour le réaliser il fallait réunir deux critères : La passion des jeux vidéo (et donc la connaissance et la maîtrise de GTA); combinée à ce qu’on essaye de développer au quotidien (le montage, la réalisation, la direction artistique et notre oeil créatif). On sait que beaucoup on eu l’idée et que certains attendaient la sortie PC pour le faire. Mais on se considère comme de vrais geek et la dimension bricolage était importante pour nous… On n’est pas à L.A, ici c’est Paris, la ville du craftmanship. Rire.
On est content de pouvoir être les premiers à le faire à ce niveau là, et d’avoir eu autant de retours positifs. C’est un clip fait par des gamers pour des gamers.
Et ça nous touche vraiment lorsque sur les forums, des gars nous défendent et citent notre vidéo en comparaison à Running Man le projet commissionné par Rockstar pour promouvoir l’éditeur de vidéo.
Mr Mr : Pour nous le résultat dépasse nos attentes de départ. Nous ne pensions pas qu’il serait d’une telle qualité.
Aurélie : Êtes-vous joueurs passionnés de GTA, ou le titre de Rockstar n’est pour vous qu’une opportunité d’utiliser Los Santos pour caricaturer des États-Unis ?
Julien Pierre : Je suis un geek en puissance. Dès que j’ai un peu de temps, je me branche à ma PS4 et j’enchaine les parties. Après, que ça se passe à Los Santos ou à Liberty City, je pense que le hijack aurait été le même, mais avec un script différent.
Etienne : Je suis un joueur de GTA du dimanche. Plus jeune je jouais pas mal à la console et notamment à GTA 2 sur Playstation. Puis mes centres d’intérêt se sont détournés vers d’autres passions. C’est JP qui m’a remis dans le bain il y a un an quand on a commencé à bosser ensemble !
La caricature des USA est un parti pris qu’on affectionne, on a pas mal de choses à dire sur ce sujet. Et puis les cops en ce moment sont vraiment trop BADASS …
Mr Mr : On a joué aux premiers GTA depuis notre enfance ! Ce GTA est vraiment une réussite.
Aurélie à JP&E : Qu’entendez-vous par le mot « Badass » ?
JP&E : On entend par “Badass” une attitude punk qui tend à sublimer, mettre en avant certains aspects sociétaux immoraux ou dénonciables. Comme la femme objet dans un strip club et la nudité marketeuse omniprésente. L’alcoolémie au volant, le mépris affiché des forces de l’ordre, le non respect des règles de vie en communauté; ce genre de choses.
C’est Bad, c’est Mal. Mais assumé, ça devient « Badass ».
Aurélie à JP&E : Au total, vous avez mis cinq mois pour réaliser le clip. Quelles ont été les différentes étapes (story-board, captures du jeu, montage,…) ?
JP&E : Oui, on a mis cinq mois à temps partiel compte tenu du fait qu’on avait que le soir et les week end pour bosser dessus. Il a d’abord fallu faire un gros travail d’exploration, faire du repérage dans Los Santos, trouver les bons spots, les objets de décor pertinents, tester tous les cheat codes, voir ce qui fonctionnait ou pas avec la physique du jeu. On a testé toutes les armes, tous les angles de caméra, la manière dont les personnages tombent, se relèvent. On a beaucoup observé le travail de Rockstar pour limiter au maximum les problèmes de bugs, de clipping, d’animations hasardeuses. On a ensuite enregistré des sessions de 5 à 10 heures de jeu pour chaque partie du clip avec un boîtier d’acquisition. Pour chaque scène on s’est retrouvé avec des tonnes de rushs. Toutes les combinaisons imaginables pour tirer le meilleur du jeu. On shootait en slow motion, à vitesse réelle etc. Pour avoir une liberté totale au montage. C’est très dur de condenser 40h de séquences en 4:30… Et puis parfois on avait du mal à bien gérer les mouvements de caméra. Comme sur un shoot physique, on a fait plein de prises pour un seul et même plan. Il a fallu qu’on fasse des choix, qu’on modifie certaines séquences pour rendre l’ensemble plus percutant. Pour les 2 plans d’oiseaux qu’on a dans le clip, il a fallu trouver les fameux Peyolts cachés sur toute la map, puis se transformer en oiseaux et voler au dessus de LS pendant 30 à 40min sans se rater; et là on essayait de rentrer notre plan. Un travail de longue haleine.
On s’est un peu arraché les cheveux. Rire.
Et après pour le montage on avançait au fur et à mesure tout en se laissant une marge de manoeuvre pour optimiser et revenir dessus. Il fallait que l’ensemble soit cohérent du début à la fin, même au niveau du cycle jour/nuit.
Aurélie à JP&E : L’éditeur de vidéos de GTA V est propre à la version PC qui est sortie le 14 avril 2015. Comment avez-vous fait pour créer cette vidéo quatre mois plus tôt (!) ?
JP&E : On a simplement tout fait sans l’éditeur de vidéo. “Joystick militari” en se prenant la tête comme il faut. Après c’est sûr qu’on attendait avec impatience de voir ce qu’allait donner la version PC et l’éditeur, mais ça aurait été trop tard pour devancer tout le monde. On a eu la bonne intuition au bon moment sans abandonner l’idée face à la difficulté du projet. À la base on pensait pouvoir le sortir fin janvier… Heureusement que Rockstar a repoussé plusieurs fois la sortie PC. Pour être honnête, on a fait une ou deux attaques. Sans oublier les saignements de nez.
Aurélie à JP&E : Comment décrivez-vous le personnage (pourquoi le slip, la barbe, les belles chaussettes…), que voulez-vous raconter ?
Julien Pierre : Trevor est le personnage le plus barré de la Saga, le plus emblématique. Tous les joueurs le connaissent sans barbe et avec les cheveux courts. On a donc voulu lui donner un look hype actuel pour créer un contraste avec sa personnalité et confronter les spectateurs à un Trevor revisité. Le slip, chaussettes, c’est une tenue bonus. On ne peut pas décider de la porter… Elle apparaît dans le jeu de manière complètement aléatoire, et c’est plutôt rare de l’avoir. Il a donc fallu changer de personnage pendant plusieurs heures pour enfin avoir le slip et pouvoir créer une sauvegarde. Ça lui donne une allure d’anti-Jésus punk assez cool.
Etienne : Il me rappelle beaucoup une vieille tante qui vivait seule avec ses chats elle ressemblait à peu à notre Trevor 🙂
Aurélie à JP&E : Vous semblez faire appel à de nombreuses références de la culture populaire et cinématographique (Birdman, Breaking Bad, Very Bad Trip,…). Est-ce exacte ? Si oui, lesquelles et pourquoi ?
JP&E : Clairement. Nous sommes des produits de la pop culture; on baigne dedans.
On est passionné de cinématographie et de videographie; du coup on attache une exigence particulière aux rythmes et aux esthétiques.
On voulait rendre hommage à tous les films et séries qui nous nourrissent créativement au quotidien. D’ailleurs GTA est blindé de références pop culture et c’est aussi pour ça que son succès est énorme. On a isolé certaines références plus que d’autres pour pouvoir faire différents clins d’oeil. Rockstar parodie le modèle occidental en général, du coup on a aussi poussé le curseur à notre sauce. On a placé leur logo dans le titre du track, on a détourné un de leur billboard à 1:58, clin d’oeil à Gondry à 1:56, ou encore à Jésus avec le slip et l’auréole subliminale à 4:27 etc. Ça va jusqu’à la strip-teaseuse, avec ses chaussettes de foot universitaire qu’on aurait pu retrouver dans le Boulevard de la Mort de Tarantino.
Aurélie à Monsieur Monsieur : Avez-vous eu l’accord du rappeur Zebra Katz de remixer sa musique ? A-t’il participé de près ou de loin à la conception du clip ?
Mr Mr : La demande de remix du morceau vient de Zebra Katz. Il n’a pas participé à la conception du clip mais il a adoré le résultat.
Aurélie à Mr Mr : Avec votre remix, qu’ajoutez-vous à la musique de Tear The House Up ?
Mr Mr : On a complètement modifié le morceau original. On a apporté notre touche et notre vision du morceau pour qu’il soit beaucoup plus sombre, dur, breaké et violent.
Le morceau original est disponible ici : Tear The House Up (Official Music Video) – Hervé x Zebra Katz.
Aurélie à Mr Mr : Quand vous composiez, aviez-vous les images de GTA V en tête ? Qu’apporte pour vous cet univers ?
Mr Mr : Nous avions déjà l’univers GTA en tête. C’est un monde totalement libre. Nous avions le concept de la vidéo à l’esprit pendant la création du remix. A chaque fois que nous composons un morceau nous nous mettons une image en mémoire, une sensation et un moment. Trevor est le personnage le plus malsain du jeu. Il nous a inspiré. On a fait un edit spécifique du morceau pour le montage définitif, afin que la fin fonctionne mieux avec la montée au ciel.
Aurélie à Mr Mr : Avez-vous vu le téléchargement de vos musiques exploser ?
Mr Mr : On a eu beaucoup de téléchargements et d’écoute sur le morceau !
Aurélie : Déjà plus de 130 000 vues en moins d’une semaine. Comptez-vous faire d’autres Fan Clips ? Si oui, avec les mêmes bases (GTA V, rap, remix) ou totalement différent ?
JP&E : C’est vrai que c’est incroyable. Sans plan média et sans injecter un seul dollar pour faire prendre la vidéo. C’est vraiment cool!
La dimension créative fait partie de nous, donc on est constament à la recherche d’idées. Si aujourd’hui c’est un fan clip en hijackant GTA, demain ça peut être une idée d’activation digitale, ou encore un livre de recettes sur “comment réussir ses gâteaux au gluten”. On a d’abord une idée, et essaye de trouver un moyen de lui donner vie sur le support qui va lui correspondre. Maintenant on est tous les deux de la même génération, et la culture clip a bercé notre enfance donc on a tendance à s’orienter naturellement vers ce format là. Le son peut avoir une force visuelle hallucinante. Comme le gluten.
Aurélie : Quelles sont vos sources d’inspiration et vos modèles ultimes ?
Etienne : Je me nourris de l’actualité, c’est vraiment une source d’inspiration. Tous les jours des choses se passent, des histoires s’écrivent. Le côté authentique de la vie, les gens et leur histoire, me fascinent. J’aime bien faire le curieux et regarder par la fenêtre pour imaginer l’histoire cachée de mon voisin. Un peu comme dans Meurtre mystérieux à Manatthan de Woody Allen. Je pense que j’imprime toutes ces tranches de vie dans mon cerveau. “Et les connexions se font!” dixit le Roi.
Pour moi c’est dur de définir des modèles ultimes, je me dis qu’il ne faut pas limiter les modèles et essayer d’être le plus curieux possible en m’enrichissant de tout. En ce moment j’aime bien Hiroaki Humeda, Pierre Debusschere par exemple. Ils réalisent des projets incroyables en dépoussiérant respectivement la chorégraphie et la photo.
Julien-Pierre : Je suis une vraie éponge, tout m’inspire. Même un dîner chiant. C’est juste une question de point de vue. Après je suis plus sensible à certaines approches et certains partis pris. Je reste un gros fan de Rockstar, Tarantino, Nicolas Winding Refn, Wes Anderson, Jacob Sutton, Chris Cunningham, Gondry, Jarmusch, Kubrick, Guy Ritchie ou encore Philippe Valette dans un autre registre.
Il y en a tellement qui inventent ou ré-inventent des langages visuels en assumant les partis pris. Chez tous ceux-là, la culture de l’idée est prédominante. Ils la respectent.
Etienne : C’est beau ce que tu dis !
Aurélie : Quelles sont vos ambitions ? Rêvez-vous de travailler dans le monde du jeu-vidéo ? Pourquoi ?
JP&E : On veut continuer de pouvoir donner vie à nos concepts et exprimer pleinement notre créativité. On ne sait pas de quoi demain sera fait mais travailler dans le monde du jeu vidéo peut être super enrichissant. Si Rockstar nous contacte demain pour travailler sur la direction de création du prochain Red Dead ou du prochain GTA, on signe direct c’est sûr. Surtout qu’aujourd’hui les développeurs ont besoin de créatifs comme nous, capables d’écrire des histoires, de pondre des concepts et de superviser la direction artistique, la production sonore… Ce qu’on fait déjà au quotidien dans notre job de créatifs en agence. L’industrie du jeu vidéo a dépassé celle du cinéma depuis plusieurs années maintenant et on voit de plus en plus de collaborations de studios avec des cinéastes. On peut faire passer beaucoup plus d’émotions dans le jeu vidéo que nulle part ailleurs. C’est à chaque fois de très très longs métrages ultra sophistiqués. C’est le futur tout simplement.
Aurélie : Pensez-vous que le jeu-vidéo est un art à part entière, qui surpasse l’image et le son ?
Julien-Pierre : Oui, pour moi le jeu vidéo c’est le 10e Art. C’est clair. C’est un art contemporain « expérientiel ». Il ne surpasse pas l’image ou le son; c’est un vecteur de fusion des deux, avec une dimension interactive ou passive (par alternance). On est à la fois spectateur et acteur. C’est magique!
Etienne : Le jeu-vidéo pour moi n’est pas encore un art. Il tend à le devenir mais pour le moment je le vois plus comme un catalyseur de créativité : un outil comme un autre permettant de se libérer en tant que créatif.
Julien-Pierre : Attends Trevor frappe à la porte…
Aurélie : Enfin, un dernier mot pour dire absolument ce que vous voulez 😉 ?
Julien-Pierre : Arrêtez de porter de la fourrure et d’aller au cirque. Jouez plutôt aux jeux vidéo. Mon PSN ID: JIPXXIII
Etienne : ni d’Europe, ni d’Amérique; La puissance vient de Belgique.
Julien-Pierre : hahah
Mr Mr : Le remix est disponible en téléchargement gratuit ici https://soundcloud.com/monsieur-monsieur
Aurélie : (Moi aussi j’ai mon dernier mot). Je vous adore, continuez à créer !