Kissoro, un jeu millénaire :
Kissoro est un jeu de plateau des sociétés africaines. Joué depuis des siècles, sa version numérique est enfin disponible ! Un excellent moyen pour son créateur de faire connaître sa culture au monde entier ! Qui sait, ce jeu (et le jeu en général) pourrait même permettre à certains de se réconcilier…
“Quand on ne sait pas où on va, il faut savoir d’où l’on vient “ :
Pour en savoir plus, nous avons rencontré Teddy Kossoko lors de l’Animasia 2017 et l’avons interviewé. Découvrez Kissoro : Tribal Game, un jeu aussi intéressant qu’ingénieux et une histoire pleine de surprises.
Vous pouvez télécharger le jeu ICI.
Aurélie Knosp : Dis-nous ton parcours ? Comment es-tu arrivé en France et comment t’es-tu lancé dans l’informatique et le développement d’un jeu vidéo ?
Teddy Kossoko : Je suis titulaire de deux baccalauréat S français spécialité mathématiques et un autre D centrafricain, l’équivalent du S spécialité biologie. Après ces deux diplômes en 2012, je décide de m’orienter dans un domaine où je pouvais laisser libre cours à ma créativité : l’informatique. Et c’est comme ça, que j’ai décidé de continuer mes études en France. Venir en France me permettait d’avoir également une autre vision du monde. J’ai d’abord fait un DUT en informatique à Blagnac puis j’ai intégré la Miage, une école d’informatique et de gestion d’entreprises.
Je me suis lancé dans l’univers des jeux à la fin de mon DUT. Une fois mon diplôme en poche, j’avais envie de réaliser un projet innovant, mais face à la complexité des autres marchés, j’ai décidé de me lancer dans la création de jeu vidéo. Le marché du mobile est celui qui m’a le plus intéressé car je me suis rendu compte que développer un jeu n’est pas le monopole de grosses sociétés et qu’avec un peu d’imagination on peut sortir du lot.
Quand as-tu créé le studio, que veut dire « Masseka » ?
Le studio a été créé en 2017, soit presque trois après le lancement du projet. Masseka, vient de ma langue natale, le Sango, la langue parlée en Centrafrique et veut dire jeune. Je pars du principe que la jeunesse, c’est l’imagination, l’avenir, l’innovation.
Quel est ton leitmotiv ?
« Si on ne sait pas où l’on va, il faut au moins savoir d’où l’on vient ». A chaque fois que j’ai besoin de trouver une idée intéressante, je pense à mes racines, puis je l’adapte à ma culture occidentale. C’est comme ça que j’ai trouvé l’idée du jeu Kissoro et beaucoup d’autres par la suite.
Tu as fait un grand tour des pays d’Europe .Quelle est maintenant ta vision du monde ? Que souhaiterais-tu pouvoir encore changer grâce aux jeux vidéo (autre que la paix ^^) ?
Franchement je n’aime pas le monde dans lequel on vit, trop d’injustices, trop d’ignorances et trop de préjugés. Les jeux vidéos sont un puissant outil qui pourrait servir à supprimer des barrières entre les peuples. Quand je vois tous ces jeunes qui se déguisent en personnage de la culture japonaise, je pense à l’Afrique et tout ce qu’elle pourrait apporter au reste du monde. J’aimerais grâce aux jeux vidéo changer la vision qu’ont les gens de l’Afrique et de la femme. Ce n’est pas pour rien que la seule femme de mon jeu est une guerrière.
Le Kissoro, quel est ce jeu, et qu’apporte ta version numérique ?
Kissoro est un jeu de société africain, l’un des plus vieux au monde. Il y a autant de variantes que de pays en Afrique et certaines variantes se retrouvent en Asie, au Moyen Orient et dans les Caraïbes. Le jeu développe énormément les aptitudes mathématiques et il a le même niveau de complexité que les échecs. La variante Kissoro est jouée par tout un peuple en Centrafrique, mon pays de naissance.
Le jeu souffre cependant des superstitions qui l’empêchent d’être reconnu à sa juste valeur.
La version numérique garde le cœur du jeu mais simplifie la tâche au joueur. Les déplacements de pions sont faits automatiquement, le joueur ne peut pas tricher, le nombre de pions par case est affiché alors que dans la réalité, le joueur doit estimer son nombre de pions sans toucher au tas. J’ai ensuite intégré beaucoup de fonctionnalités en m’inspirant de beaucoup de jeux pour que la version numérique puisse concurrencer n’importe quel jeu mobile dans la catégorie réflexion.
Kissoro est ton premier jeu. Quelles difficultés as-tu rencontré pour son développement et la communication ?
J’ai eu du mal à avoir la confiance de mes parents au début. Comme je l’ai dit, le jeu souffre d’une mauvaise réputation, il m’a fallu des semaines pour les convaincre.
D’un point de vue technique, le jeu m’a pris beaucoup de temps, j’ai appris beaucoup de choses sur le tas et j’ai sacrifié une partie de mes études.
La communication était le point sensible, je ne suis pas un expert et du coup j’ai dû faire avec mes moyens : les réseaux sociaux. Mais ce n’était pas suffisant pour toucher un maximum de personnes.
De quoi es-tu le plus fier ? As-tu un regret ?
Je suis fier de mon parcours et du succès du jeu. J’ai eu beaucoup de moqueries, de reproches par rapport à mon projet. Des amis qui me disaient, ça te sert à quoi de travailler dessus tout le temps ? Aujourd’hui beaucoup me disent « on ne savait pas que ça allait prendre une telle ampleur ».
Mon seul regret est que la femme soit très peu représentée. Il y a un seul personnage féminin. Si je le savais, j’aurais fait du héros un personnage féminin.
Tu as été rejoint par un coéquipier avec qui tu as travaillé sur différents modes de jeux. Ensemble, qu’avez-vous développé de nouveau ?
J’ai l’aide d’un très bon ami qui joue beaucoup et qui m’a proposé des fonctionnalités comme les quêtes à la Heartstone, des idées pour la boutique, des techniques pour les boss. Il m’a surtout aidé à mettre en place un système d’intelligence artificielle.
Quels sont les différents modes de jeu et leur(s) particularité(s) ?
Il y a quatre modes jouables et un dernier en développement :
- Le mode classique, qui permet de jouer avec les règles ancestrales
- Le mode campagne qui permet au joueur d’incarner un personnage et l’aider à sauver son royaume. J’y ai rajouté un peu de hasard pour plus de peps
- Le mode conquête, qui permet au joueur de conquérir des zones avec son équipe
- Le mode quête pour gagner de pièces d’or
- Le mode culture générale où je parle des personnages du jeu
A noter que le jeu est également multi-joueur hors-ligne et en ligne.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je me suis beaucoup inspiré de Kingdom Rush, puis récemment de CATS. Je me suis également inspiré de HeartStone pour le système de quête.
Tu es originaire d’Afrique centrale. Quelles sont les références à ta culture (autre que le jeu lui-même) ?
Le mode campagne dans le jeu raconte l’histoire de deux royaumes qui se battent pour contrôler un fleuve riche. Cette histoire et toute l’intrigue derrière est fortement inspirée des crises sans fin qu’a traversé mon pays et beaucoup de pays africains d’ailleurs.
Le jeu contient beaucoup de mots dans ma langue natale, les noms des zones dans le mode conquête et autres.
Quand j’ai testé le jeu, tu citais un boss qui reprenait une technique qu’utilise un perso de Dragon Ball (inverser le plateau). As-tu d’autres références à d’autres cultures et autres médias ?
Le jeu est bourré de références historiques et culturelles. Outre le personnage de DBZ Ginyû, la deuxième planche de dessin du mode campagne est tirée d’un reportage de National Géographique. Le dessin affiché après avoir battu le premier boss vient de Game Of Thrones. Le logo du jeu s’inspire du film The pawn sacrifice, qui retrace l’histoire de Boby Fisher le meilleur joueur d’échec de l’histoire. Le premier boss, est inspiré de Hannibal de Carthage et le troisième du roi congolais Makoko Ilo. La seule femme du jeu fait référence aux Amazones du Dahomey, des guerrières autonomes et indépendantes. Le nom du dernier boss « Veyzo » provient d’un chanteur centrafricain, très talentueux qui a chanté ma chanson préférée.
Le premier royaume s’appelle Yakomo. Les Yakomas sont un peuple centrafricain et j’en fait partie. Le deuxième s’appelle Talimbi. Les Talimbis en Centrafrique sont considérés comme des hommes poissons qui noient les gens quand ils vont se baigner au fleuve.
Quand tu dis : “Le nom du dernier boss « Veyzo » provient d’un chanteur centrafricain, très talentueux qui a chanté ma chanson préférée.”… Donc c’est quoi ta chanson préférée ?
Cette chanson s’appelle « Gue So », qui veut dire en français « ici ». Dans cette chanson, le rappeur dénonce les politiques, les corrompus, les terroristes…J’ai eu la chance de créer la version acoustique de la chanson et chanter avec celui qui a chanté la version originale.
De plus, tu me disais que tu avais utilisé Kissoro pour promouvoir la paix ? Peux-tu revenir sur ce point en expliquant ta démarche ?
Quand je suis rentré en Centrafrique pour parler du jeu, j’ai trouvé un pays en pleine guerre. Vu que j’avais accès aux médias, j’en ai profité pour dire à la population, que, exactement comme dans mon jeu où le héros va proposer un tournoi de Kissoro au deux royaumes pour résoudre le conflit, les gens n’ont pas besoin de passer par les armes pour résoudre le conflit.
Le héros est un jeune orphelin qui n’a rien. Il va participer au tournoi en battant des nobles pour sauver son royaume. Je me suis appuyé sur cette histoire pour dire à la population qu’elle n’a pas à attendre que les solutions viennent d’en haut, du gouvernement, mais comme cet orphelin, elle doit proposer des solutions pour une sortie de crise.
Ensuite on a organisé des tournois de Kissoro en mettant en avant le côté cohésion sociale. C’était une goutte d’eau dans une mer mais elle était utile au vu des retours.
Aussi, autre point intéressant, tu me racontais qu’en Afrique centrale, le jeu était très mal vu car réservé aux adultes et aux hommes machos (le jeu comme perte de temps). Comment arrives-tu à prouver que jouer n’est pas un mal et peut être utile ?
J’ai fait un travail de sensibilisation là-bas pour combattre cette mauvaise réputation en mettant en avant la puissance mathématique que cache le jeu. Je milite pour le jeu puisse être intégré dans le système éducatif. Si c’est fait, les filles et les garçons y joueront dès le bas âge, et grandiront avec et il n’y aura plus tout le côté macho actuel du jeu.
A combien estimes-tu la production de ton jeu ? Comment l’as-tu financé (quelles démarches sur Ulule, autres..) ? Comment te rémunères-tu ?
Le jeu m’a coûté près de 5 000 euros. Une partie de cette somme est partie dans du matériel de développement, le graphisme, les déplacements pour participer à des festivals autour du jeu vidéo.
Je l’ai financé grâce au salaire que je touchais en alternance, mais j’en étais arrivé à un niveau où continuer à le financer avec ce salaire devenait compliqué, du coup j’ai lancé la campagne de financement participatif pour me soulager un peu.
Pour l’instant je ne me rémunère pas, mais quand le jeu sera totalement finalisé, le système de pièces d’or et des objets à débloquer devraient m’apporter un peu d’argent. J’hésite encore avec les pubs même si c’est le moyen qui marche le plus.
Maintenant que le jeu est sorti, quels sont vos moyens de rémunération ?
Le jeu n’est pas encore sorti, il est disponible sur le Play store mais en version bêta ouverte. Cela permet à n’importe qui de le télécharger et de me faire des retours. Donc je ne me fais pas d’argent dessus pour l’instant. Mais ça viendra. Nous réalisons aussi un artbook, j’espère arriver à le vendre.
Avez-vous prévu des modifications ?
Vu que le jeu est en version bêta, il y a environ 5% des fonctionnalités manquantes. Mais une fois terminé j’apporterai d’autres modifications comme rajouter plus de personnages féminins.
Vous venez de montrer votre jeu à Animasia. Sur quels autres salons (France ou étranger) pouvons-nous vous retrouver ? Qu’apportent ces salons ?
J’ai fait la Geek Touch à Lyon où j’ai remporté un prix. J’ai également fait des festivals comme l’art press’yourself. J’ai été au festival du FLIP, mais ça c’est très mal passé pour moi.
Tous ces salons m’apportent de la visibilité et me créent des opportunités. C’est comme cette interview. Si je n’étais pas à Animasia, elle n’aurait jamais pu avoir lieu. Les salons me permettent aussi d’avoir des retours tant des autres développeurs que des joueurs et ces retours sont très importants pour moi.
Un bon et un mauvais souvenir depuis la sortie du jeu ?
Mon meilleur souvenir c’est quand un jeune homme à Lyon, durant un festival, a voulu prendre une photo avec moi. Ça m’a fait tellement bizarre, je me suis dit whaou, je suis devenu populaire (rire).
Mon plus mauvais souvenir vient du festival du FLIP. J’ai fait des kilomètres pour aller à Parthenay pour ce festival de jeux ludiques. Je n’ai pas été mis avec les créateurs, mais dans un sous-sol avec un homme qui organisait un tournoi de Fifa. Je n’ai eu aucune exposition et j’ai décidé de mettre fin au supplice et de rentrer.
Enfin, un conseil pour monter son propre studio et sortir son premier jeu ?
Il faut être motivé et persévérant. Ne pas laisser quelqu’un nous décourager. Il faut prendre en compte les remarques pertinentes mais surtout avoir un esprit de partage. Aujourd’hui derrière mon jeu, c’est toute une culture et mon histoire que j’essaie de partager au reste du monde, c’est pour ça que ça intéresse.