Jean-Luc Satin a été l’un des Directeurs marketing de Virgin Loisirs, puis SEGA France. Au cours de cet entretien, nous sommes revenus sur les premiers pas de la marque dans l’hexagone. L’arrivée de la Mega Drive, la création du punk, la pub « SEGA, c’est plus fort que toi ! », le train SEGA… ce fut une période étonnante et cette interview permet de comprendre les démarches qui ont amené à faire de SEGA un concurrent de poids face à Nintendo. Et bien sûr, dans le lot, il y a quelques anecdotes croustillantes. Prêts à retourner au début des années 90 ?
La Master System a été distribuée en Europe sous l’égide de Virgin. Pouvez-vous nous raconter comment cette machine, qui a d’ailleurs connu un grand succès en Angleterre, a pu être commercialisée en France ? À l’époque, j’avais 7/8 ans et SEGA ne m’a plus quitté ensuite.
Je suis arrivé vers Virgin Loisirs juste après le lancement de la Master System dans le but de préparer le lancement de la Mega Drive avec un Directeur Marketing, Luc Bourcier. Virgin Loisirs était une toute petite entité de 5/6 personnes très proche de la maison de disques Virgin qui était, elle, basée Place des Vosges. Nous, nous étions à 300 mètres de là.
Vous souvenez-vous de la création de SEGA France ? Auparavant, cela s’appelait Virgin Loisirs, non ?
Absolument. J’ai été engagé par Virgin puis, moins d’un an après, SEGA Japon a décidé de racheter toutes les filiales de Virgin Mastertronic qui s’occupaient de leurs produits (en plus de petits jeux électroniques comme les Tiger d’Acclaim).
La Master System, puis ensuite la Master System 2, ont conquis le cœur des joueurs avec l’inoubliable Alex Kidd. Vous êtes arrivés chez SEGA France en 1990, comment êtes-vous parvenus à résister face à la NES de Nintendo ? Vous souvenez-vous des moyens mis en œuvre pour parvenir à la concurrencer ?
Au début, honnêtement, on était vraiment inexistant face à Nintendo. La bascule, c’est l’arrivée de la Mega Drive, de SEGA en propre et des moyens importants investis par SEGA. Le lancement de la première 16-bits et la stratégie de communication ont soudainement déclenché la conquête des parts de marché qui, chaque mois, devenaient de plus en plus favorables à SEGA. D’un autre côté, nous étions partis de très loin (Nintendo devait avoir 90% du marché en 1989).
Puis, à la fin de l’année 1990, SEGA a lancé la Mega Drive en Europe. Comment s’est passé cette arrivée ? Un système 16-bits qui arrive avec des jeux spectaculaires, on imagine que les idées n’ont pas manqué pour implanter au mieux la machine. Par la suite, avez-vous adapté votre communication avec l’arrivée de la Super Nintendo ?
Avec « SEGA, c’est plus fort que toi ! » c’était un peu No Limit : campagne agressive, irrévérencieuse, qui claquait comme un défi pour tous (joueurs comme concurrents) et un plan marketing multimédia, du cinéma à la TV, de l’affichage, des équipes de démonstration en magasin impressionnantes… En gros, de quoi bousculer sérieusement un quasi-monopole !
Pouvez-vous nous parler de la création du mythique « Maître SEGA » ?
En fait, si ma mémoire est bonne, Maître SEGA vient de la première campagne faite avant mon arrivée, qui rebondissait sur la mire de la TV, sur l’idée de nourrir une console avec des cartouches et de commencer à travailler le concept du défi, et forcément dans tout défi, il y a un maître. Maître SEGA s’est rapidement imposé comme celui qui connaissait tout sur les jeux et qui était la première voix pour répondre aux soluces. Progressivement, il est devenu le repère des services aux consommateurs.
Même type de question, mais cette fois, pouvez-nous parler des pubs inoubliables du punk SEGA et du slogan éternel : SEGA, c’est plus fort que toi ?
Il fallait taper fort pour surprendre Nintendo, imposer le fait qu’avec une 16-bits on allait passer dans une autre dimension. Donc, il fallait dire que SEGA était le plus fort (devant Nintendo). Après avoir évalué différentes stratégies et taglines possibles avec une compétition d’agences de publicité, SEGA a décidé de partir avec ce punk devenu mythique grâce au traitement des images associées au slogan. Avec les explosions et les défis que même les plus costauds n’arrivaient pas à réussir, le message était clair : SEGA, c’est pas pour les petits joueurs ! Le tournage en Angleterre a été impressionnant, dans les studios de cinéma, avec des moyens de cinéma.
SEGA a également lancé un train SEGA (Euro Challenge) en 1992. Vous souvenez-vous des préparatifs de ce grand projet ?
Le but, c’était d’être présent pour gagner en top of mind (présence à l’esprit) pour que SEGA devienne la première destination du jeu vidéo devant Nintendo. Donc, après avoir fait les médias classiques, l’évènementiel a été activé avec le train SEGA.
Vous avez également lancé un Club SEGA, avec une carte de membre et le fameux SEGA News. On imagine que la logistique et l’organisation d’un tel service demande beaucoup de préparatifs. Il y avait aussi le Minitel qui fonctionnait à plein régime. Tous ces services étaient une réponse à ceux de Nintendo (et sa hotline) ou vous traciez votre voie sans vous soucier des autres ?
Il y a eu plusieurs périodes. Je ne me suis occupé du club que pendant 2 ans. On avait en effet décidé de faire un vrai club avec carte, super travaillée, promotion pour les plus fidèles et la newsletter, avec Maître SEGA. C’était du travail d’artisan mais avec de beaux résultats. C’est vrai que la hotline et tous les experts ou les sites télématiques étaient très efficaces et pris d’assaut par nos fans.
Au cours des dernières années, j’ai pu m’entretenir avec de nombreuses personnes ayant travaillé (ou travaillant encore) chez SEGA (que ce soit au Japon, en Europe ou aux États-Unis) et beaucoup m’ont parlé de cette atmosphère unique qui régnait dans cette firme. Pourtant, on a souvent entendu parler de la rivalité Japon / USA (avec en point d’orgue le « match » entre Tom Kalinske et Hayao Nakayama). En Europe, et particulièrement en France, comment perceviez-vous cela ? Et aviez-vous des contacts réguliers avec les États-Unis et le Japon ?
Avec le Japon, c’était toutes les semaines, sur les nouveaux jeux, les notices, les envois d’eproms en avance de phase. Avec les USA, on regardait surtout l’efficacité de leur campagne SEGAAA ! Mais nous, nos échanges étaient les plus nombreux avec SEGA Europe qui était basée à Londres et qui était un peu jaloux de la réussite de notre « SEGA, c’est plus fort que toi ! »
Après la Mega Drive, il y a eu l’arrivée de la Game Gear ? Cette fois, la portable était en couleur, contrairement à la Game Boy, et elle avait de très solides atouts (en plus de posséder une bonne ludothèque). Quelles méthodes avez-vous utilisées pour vous démarquer de la concurrence ?
C’est un autre chef de groupe qui s’est occupé de ce lancement mais l’idée était d’imposer le design et la qualité de la machine face aux Game Boy qui étaient très puissants en parts de marché.
Il y a ensuite eu les deux add-on pour la Mega Drive. Le MEGA-CD dans un premier temps, puis le 32X ensuite. Ces deux systèmes ont un peu compliqué la tâche de SEGA à cette époque. Comment avez-vous fait pour les implanter, malgré le coût de telles technologies ? On imagine que vous avez dû être décontenancé, plus d’une fois, par les choix de SEGA Japon.
C’est clair que ce n’était pas simple à marqueter et pas facile à toujours expliquer le concept. Il fallait trouver des idées grâce à des éléments spécifiques (la musique sur MEGA-CD) mais ce n’était pas facile.
Vous avez quitté SEGA France en 1995 mais vous avez pu vivre et préparer l’arrivée de la Saturn en France. Cette machine, que beaucoup de joueurs adorent, n’a pas rencontré le succès escompté. Comment avez-vous vécu cette période ? Notamment les débuts de la console. SEGA Europe avait, à l’inverse des États-Unis, résisté au souhait de Hayao Nakayama (lancer la console lors de son annonce à l’E3 1995). Vous avez donc pu compter sur un line-up plus intéressant.
J’ai décidé de quitter SEGA pour partir chez Disney quand SEGA Japon n’a pas fait évoluer sa stratégie alors qu’il était encore temps de le faire, surtout avant le lancement de la Saturn et l’arrivée de la Playstation. On avait de bons jeux, on avait une marque moins puissante que Sony mais plus spécifique. SEGA Japon était un peu trop sûr de son fait et pas assez à l’écoute de ce que pouvait apporter la concurrence, moins techno, moins précise, mais plus grand public. Dommage car le potentiel de créativité de SEGA était immense dans les équipes de développement…
Avec du recul, pouvez-vous nous donner votre ressenti sur cette époque assez folle ? C’était véritablement l’âge d’or du jeu vidéo sur consoles mais on imagine que tout n’a pas dû être facile à mettre en place, surtout avec une concurrence qui faisait rage.
C’était comme un rollercoaster, up and down, toujours à fond comme dans Daytona, aussi speed que Sonic et agressif que notre punk. Les différents concurrents, la naissance de la presse spécialisée, la naissance de puissants éditeurs, la création de franchises capables de faire comme FIFA, 25 ans après, plus d’un million de copies en France pour leur lancement… c’est seulement quand on se retourne que l’on se rend compte de ça, avant on avait juste le plaisir de participer à un marché de fous !
Question plus légère. Avez-vous des anecdotes à raconter sur vos rencontres avec des personnes de SEGA Europe, of America, Japan ? Ou des anecdotes de choses amusantes qui se sont déroulées au sein de SEGA France ou Virgin Loisirs ? On imagine que certains appels, pour Maître SEGA, devaient être surprenants. Je me souviens notamment de cette anecdote, lue dans Joystick, où Romuald a eu une femme au téléphone qui lui a demandé « Vivez-vous seul ? » C’était vraiment une autre époque.
Ma première expérience au bureau, c’était un passionné (Philippe Ulrich, qui était dans nos bureaux sans réellement faire partie de la structure Virgin/SEGA) qui testait une petite caméra sur une voiture radiocommandée pour des tests d’une des premières versions de First Person Vision pour un jeu (Dune ? ) en me passant entre les jambes. Je me souviens aussi des fans qui voulaient nous vendre de nouveaux concepts de jeux comme celui qui voulait faire un jeu sur le chiffre du Diable (666) et qui avait piégé son colis pour faire un « super effet » à l’ouverture. Résultat : c’était réussi, avec pompiers et brûlure légère pour la personne qui avait ouvert le colis. Quant aux messages à Romuald (Maître SEGA), difficile de ne pas repenser aux clients qui prononçaient mal le nom des jeux, comme CHIPSNOBI par exemple. Ça, c’était tous les jours…car Maitre Sega c’est une légende !
Au départ, Virgin Loisirs a vendu la Master System en étant… trois. Ensuite, le succès a fait que l’entreprise s’est fortement développée. Comment avez-vous vécu cette explosion du marché des consoles ? En 1990, chiffres Joystick, on est passé de 30 000 Master System vendues… à 320 000.
Je n’ai plus les chiffres de ventes en tête, mais ce qui est sûr, c’est qu’en 1991/1992, si vous partiez 15 jours en vacances, quand vous reveniez, plein de nouvelles têtes étaient arrivées !
Dernière question. Quel est votre ressenti sur le marché du jeu vidéo actuel ? Vous vous y intéressé encore ?
Un de mes fils a fait 10 magasins en 2 jours pour acheter FIFA PS4 la veille du lancement ! J’ai regardé avec intérêt l’évolution du marché mais plutôt côté business et je fais quelques parties quand je peux avec mes enfants mais je n’ai plus le temps de me faire en solo des soirées de Roadrash, Madden ou Dr Robotnik’s !
commentaires
Que de souvenirs de cette époque bénie dans cet entretien, si lointaine déjà…
Cool de te relire Jean Luc ! À quand un petit dîner ??
Il y a le principal c’est bien …
amitiés
Laurent