Vous le connaissez sûrement pour Remember Me et Assassin’s Creed, ou plus récemment Vampyr et A Plague Tale ! Son travail de compositeur mérite d’autant plus d’être connu pour des titres bluffants de créativité comme Alone in the Dark et Get Even. En effet, Olivier Derivière est avant tout un passionné de jeux vidéo qui met son travail au service de l’œuvre. De ses propres mots :
“ Ça ne m’intéresse pas de faire de la musique jolie. Si c’est joli tant mieux mais la priorité, c’est que ça fasse sens avec le propos. “
Compositeur et joueur depuis son enfance, Olivier est très respectueux de l’Art de la Musique classique et profondément touché par l’émotion que procure la musique de jeux vidéo. Ce “profil atypique” a tiré le meilleur de ses deux passions pour enrichir la palette d’émotions qu’offre le jeu :
» Je me bats depuis le début de ma carrière pour faire des musiques qui sont le plus pures possible.”
Avec dix-huit titres à ce jour (les derniers étant Plague Tale et Greedfall), Olivier est un compositeur qui ne manque pas d’idées pour faire vibrer joueurs et joueuses. Face au succès, il n’en demeure pas pour autant réaliste :
“ Il faut rester humble devant la tâche qu’il nous reste à accomplir”.
Pour en savoir plus, découvrez l’intégralité de notre interview ci-dessous.
Aurélie Knosp : Comment es-tu entré dans le monde de la musique ?
Olivier Derivière : Ce qui m’a amené à la musique, ce sont mes parents. J’ai été inscrit à cinq ans au conservatoire.
AK : Ils se sont dits c’est un génie de la musique, on va le mettre au conservatoire ?
OD : Alors déjà, je ne suis pas un génie de la musique. Mais peut-être qu’ils l’espéraient (rires). Ils se sont dits que, comme mes frères et sœurs, leur fils aura une éducation musicale. C’est ce qu’ils voulaient.
Comment as-tu découvert le jeu vidéo ?
J’ai découvert le jeu vidéo quand j’avais 8 ans. C’est mon père qui, un jour, nous a amenés chez des amis qui avaient un ordinateur. J’étais très curieux. Depuis, ça ne m’a pas quitté. Je l’ai découvert comme aujourd’hui je découvre Astrobot sur VR. Il y a une fascination pour ce médium.
Joues-tu aux productions sur lesquelles tu travailles; ou au contraire, vises-tu des jeux à l’opposé ?
Bien sûr que j’y joue. Je suis gros joueur et j’essaie de goûter un peu à tout. Mais je ne peux pas, trop de jeux sortent. Spiderman, Kentucky route zero, Read Dead Redemption, Subnautica, etc. J’ai une culture jeu vidéo qui permet de longues discussions (rires).
As-tu eu une rencontre “coup de cœur” avec un jeu ou un compositeur ?
Mon père était très mélomane. Il écoutait énormément de choses et je baignais là-dedans. La musique provoque chez moi énormément de sentiments. Et le jeu vidéo, de la même manière, provoque énormément de choses, mais des choses différentes.
Quand je suis tombé sur l’Amiga et Shadow of the Beast, c’était l’Epiphanie pour tout : pour le jeu vidéo d’abord, puis pour la musique de jeu vidéo et enfin le fait que toute ma vie sera orientée jeu vidéo.
Comment es-tu passé du conservatoire de Nice à Boston, seulement âgé de 20 ans ?
Je faisais des études classiques, musique, écriture et compagnie. Bien que j’ai eu un professeur incroyable je me suis dit que c’était trop restrictif, ça devenait du travail d’écolier. J’avais 18 ans et je faisais ma première expérience studio. J’enregistrais des choses, on mixait et je découvrais ce qu’était le métier d’ingénieur du son. Puis une chanteuse américaine m’a dit (avec un accent bien marqué) : “ Ohlala, tu devrais trop aller à Boston, il y a une école là-bas qui s’appelle Berklee. “
Comme toute école là-bas, c’est cher. Donc je suis monté à Paris, faire une audition et j’ai reçu une bourse. Je suis alors allé à Berklee. En étant là-bas, j’étais logé chez une dame qui connaissait le Boston Symphony Orchestra (BSO). Et j’y suis allé complètement par chance.
Un de tes premiers jeux, Obscure, a été enregistré avec le BSO ?
Pour celui-ci, j’ai travaillé avec le Choeur d’enfants d’Opéra de Paris. Le deuxième opus d’Obscure a été produit par le Choeur d’enfants d’Opéra de Paris et le Boston String Quartet du BSO.
Tu composes puis ils jouent ? Es-tu toi-même musicien ?
Ah non, je leur dit faites-moi de la belle musique, ils font tout et moi j’enregistre. Puis je dis que c’est moi qui ai écrit (rires). Je compose et je joue très peu. Je tape des choses. Je fais du piano de temps en temps, par exemple sur Vampyr, ou A Plague Tale. Je ne suis qu’un simple compositeur.
C’est déjà pas mal ! Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Dès le départ ce qui m’a intéressé c’est le jeu vidéo. Il faut réaliser que je voulais faire de la musique de jeu vidéo pour le jeu vidéo. C’est essentiel. Ça veut dire que quand j’arrive sur un projet, le premier point auquel je fais attention, c’est le gameplay. Il va donner énormément d’explications sur le jeu et comment le joueur va appréhender les différentes situations. Après pour l’univers, que ce soit un survival horror comme Obscure ou un rpg à la Orcs and Men, c’est un travail plus classique. Tu parles au réalisateur ou à la réalisatrice et tu découvres le thème. Moi ce que j’aime faire, avec la musique, c’est donner du sens. Ça ne m’intéresse pas de faire de la musique jolie. Si c’est joli tant mieux mais la priorité, c’est que ça fasse sens avec le propos. Une très faible minorité le fait et le comprend dans le milieu du jeu vidéo.
Mais c’est très complexe de se mettre à la place du joueur ?
Exactement. C’est complexe dans la mesure où l’ensemble des possibles est infini. Il y a le joueur et l’histoire, il faut décider. Le réalisateur doit faire des choix. Il faut des musiques narratives et des musiques fonctionnelles selon l’expérience offerte au joueur. Toutes ses fonctions de la musique vont orienter ma façon de composer.
Vas-tu te documenter et être présent à toutes les étapes de production ?
Un jeu vidéo est fait globalement en trois étapes. Il y a la pré-production qui est l’établissement de l’univers global et du gameplay comme on aimerait bien qu’il soit. Pendant cette phase, on développe des thèmes musicaux. Selon les gameplay, est-ce que c’est possible ?… Tout cela détermine la façon dont je vais écrire et surtout produire la musique.
Puis, l’équipe part en production. Ça peut durer un mois, deux mois jusqu’à trois voire quatre ans. Durant cette période de production, je suis toujours en connexion avec eux. Un peu lointaine au départ, mais très très proche au bout d’un moment quand il faut implémenter la musique.
Puis, il y a la dernière phase dite “post bêta”. Tout est figé en terme de gameplay et de contenu. Maintenant on habille totalement, et c’est là où tu transformes vraiment le jeu, c’est le dernier run !
N’y a-t’il pas un contraste, un fossé qui se construit et grandit entre l’idée de départ et le résultat ?
Quand on a commencé, des jeux comme Obscure représentaient une époque assez limitée. Il y avait une sorte de restriction globale. Tu savais que le départ du jeu allait être à peu près comme la fin, à part quelques coupes.
Concernant Remember Me, ils ont travaillé deux ans sur l’univers donc ils n’allaient pas le changer. Musicalement, je savais que j’allais faire exactement la même chose.
Par contre, le gameplay oui, il a évolué, il y a eu beaucoup de travail et d’itération. De toute façon, le jeu vidéo ce sont des productions par l’échec.
As-tu des rituels, des process (étapes) qui reviennent ?
Pas de rituel, il n’y a rien de mystique (rires).
En terme de process, oui il y a des choses qui reviennent sur chaque projet. Numéro un, la relation avec l’éditeur et le développeur, c’est à dire une relation très proche de collaboration totale et non une relation de prestation. Je défends l’idée que le compositeur doit faire partie de la production.
Tu vas même voir l’éditeur : pourquoi ?
Bien sûr. Je ne fais pas partie de ceux qui veulent créer des stars. La musique peut avoir une valeur marketing. Non pas du côté du compositeur, mais mettre la lumière sur ce que la musique peut provoquer sur le joueur. C’est aussi une manière de dire que l’expérience va être différente. Avec l’image, graphiquement c’est facile, mais vis à vis de l’oreille c’est un peu plus compliqué.
Il faut les sensibiliser pour qu’ils comprennent que la musique peut changer l’expérience du joueur. Alors ils peuvent mettre un peu plus de moyens et l’accent autour de la communication sur la musique.
C’est ce qui s’est passé avec l’Abbey Road qui a joué pour 11-11 Memories Retold ?
Comment se fait-il que, sur un jeu un peu plus indie, on ai pu avoir une production qui dépasse celle des triple A !? J’ai plusieurs fois travaillé avec cet éditeur. Ils me connaissent et ils savent la qualité que je souhaite mettre pour le jeu vidéo. Ils comprennent l’aspect artistique du jeu, comme sur 11-11 : Memories Retold. Donc ils se disent qu’il y a une valeur ajoutée qui peut-être apportée par la musique.
Et le fait de te connaitre les a rassuré ?
Il faut savoir qu’avant nous avions fait Get Even avec cet éditeur. C’est le jeu le plus incroyable, que je conseille à tout le monde. C’est incroyable d’avoir fait un jeu comme ça. C’est une sorte de walking simulator avec un gameplay bancal au milieu malheureusement. Mais l’expérience du jeu, et la façon dont tu vis le jeu de A à Z. Il faut le finir et être dedans. C’est pour moi une des meilleures expériences sur lesquelles j’ai bossé.
Mais aussi en terme de proposition dans le jeu vidéo, c’est quelque chose !
Pour ce projet, on avait l’Orchestre Philharmonique de Bruxelles. Et pour le suivant, 11-11 : Memories Retold, on est allés à Londres.
Et ça fait quoi de travailler dans l’endroit où la musique du Seigneur des anneaux a été enregistrée ?
C’est marrant, celui qui a enregistré le Seigneur des anneaux est aussi mon ingénieur du son. On a travaillé trois fois ensemble, sur Remember Me, Supernova et 11-11 : Memories Retold. Il s’appelle John Kurlander. C’est une légende et surtout il enregistre les orchestres comme les orchestres sonnent et non pas comme aujourd’hui on les enregistre !
Je ne comprends pas, que veux-tu dire par “comme les orchestres sonnent ” ?
Je vais donner un exemple : tu prends une photo et tu appliques des filtres instagram. Aujourd’hui les gens pensent que les photos reproduites sont plus à la manière instagram qu’à la manière pure. Certains ont oublié la belle photo où la lumière est naturelle où tout est travaillé pour que la photo en tant que telle n’est pas de retouche.
Et je me bats depuis le début de ma carrière pour faire des musiques qui soient le plus pures possible.
Tu n’es pas un peu frustré de la couche de Sound Design mise au dessus ?
Pour vivre la musique telle que nous l’avons enregistré, tu peux écouter la Soundtrack. Mais ce n’est pas le but ! Le but n’est pas d’écouter la musique en dehors du jeu. C’est une conséquence, heureuse peut-être. Mais le but est que ça fonctionne bien dans le jeu. Si l’éditeur a mis des centaines de milliers d’euros pour finalement mettre des centaines d’explosions, alors il y a une erreur de calcul. Évidemment, on n’attend pas ça.
Il y a un exemple intéressant sur Assassin’s Creed IV : Freedom Cry; avec la rencontre de l’Orchestre Symphonique de Bruxelles et la troupe haïtienne Makandal. Comment est venu ce mélange des genres ?
Il faut prendre la réflexion depuis le départ, c’est à dire le jeu. La série Assassin’s Creed a un héritage musical qui est un bordel. Il y avait Jesper Kyd qui a démarré, puis ils sont allés voir des américains comme Hans Zimmer, Lord Bif et Brian Tyler. Ils ont fait des mélanges qui n’avaient pas de sens. Depuis Origins, ils reprennent le thème du 2 comme ligne directrice, c’est plus intéressant. Il fabriquent une identité sonore. L’histoire de Freedom Cry n’est pas une histoire d’Assassin. C’est celle d’un esclave qui s’est émancipé, redécouvre l’histoire de son peuple et va essayer de les aider. Ubisoft avait l’idée d’un champ de coton à Haïti. Je leur ai dit : “ Voilà ce que je vous propose, c’est un ancien esclave qui redécouvre ses racines. On va devoir parler des racines. Donc nous allons enregistrer des haïtiens sans dire quoi que ce soit d’autre que – Faîtes la musique que vous pensez être la musique des racines de l’esclavage, celle de cette époque – “ . On a fait trois ou quatre sessions; ils ont joué et c’était complètement barré. On avait un métronome car je devais mettre des violons derrière. Quand le métronome se lance, les percussionnistes commencent… Et avec le superviseur musical d’Ubisoft, Christian Pacaud, on se regarde et on se dit qu’ils font n’importe quoi. Puis d’un seul coup on entend “ 1, 2, 3 tam “ et c’était pile sur le clic. Là, j’ai découvert la musique haïtienne qui sont des musiques polyrythmiques. Ça fait partie de leur culture, c’est en eux. Le fait est que dans le jeu, ce sont des français et des belges qui sont les maîtres des esclaves. Alors je me suis dit que nous allions enregistrer un orchestre belge et moi je suis le compositeur français. C’était une réunion historique. C’était vraiment quelque chose de très beau. Si on écoute bien, dans certaines musiques, les violons suivent les percussions. L’idée étant que le personnage retrouve ses sources, il fallait que je prenne les sources pour fabriquer ma musique. Et dans le gameplay, je suis allé plus loin. Quand tu es dans les champs, tu les entends chanter, quand tu te bas, tu entends la musique avec leur drum et enfin quand tu les libères, leur chant devient sur la musique et ils chantent avec les violons. C’est fort en terme de récompense, ça a du sens.
Et c’est la même chose dans 11-11 : memories retold, avec les anglais, allemands et canadiens ?
La valeur historique est en tâche de fond. Dans 11-11 : memories retold, c’est plus à propos des Hommes que des faits historiques. Cependant, on a employé le son de trompette de l’époque, celle qui fait taratatatataaa. Le jeu est une sorte de fable et nous avons mis cette trompette pour symboliser l’absurdité de la guerre et un des personnages, le major, qui est complètement fou. C’est la valeur historique, mais le jeu n’est pas implanté dans l’Histoire comme l’est Assassin’s Creed.
Concernant Raiponce, comment fais-tu pour passer d’un univers aussi sombre que Vampyr ou Alone in the Dark à cet univers ?
J’ai aussi fait un autre petit jeu, Harold, que tout le monde a évidemment fait (rires). Les musiques sont complètement barrées. C’est vrai que c’est surprenant d’être contacté pour faire Raiponce juste après Alone in the Dark. Mais ce n’était pas difficile à faire, celui qui a fait la musique des Dents de la mer a bien fait Star Wars, E.T, la liste de Schlinder et Hook. C’est comme les comiques qui peuvent faire de la tragédie.
Revenons sur l’actualité avec A Plague Tale : Innocence. Comment (par la musique) as-tu illustré le lien qui unit Amicia et Hugo ?
Ce sont deux personnages qui ne se connaissent pas et pourtant frère et sœur. Il y a donc toute une construction autour de leur relation. qui se fait dans le temps.
Par quels procédés as-tu lié la “noirceur” du contexte historique (l’inquisition) avec la “blancheur” (l’innocence présumée) de deux enfants ?
Assez simplement, les textures au violoncelle sont contrastées par les mélodies à la guitare, viole de gambe et nyckelharpa.
Pourquoi le choix du jeu vidéo plus que du cinéma ?
Le cinéma à l’heure actuelle est complètement limité comparé au jeu vidéo, en terme de propositions artistiques. C’est phénoménal la diversité des univers, des expériences, des genres. Et surtout dans le jeu vidéo, on a une valeur qui est apparue récemment, c’est une vision plus personnelle. Alors qu’au cinéma c’est de plus en plus rare. Ça existera toujours bien heureusement, des Wes Anderson, ou Christopher Nolan pour les blockbusters.
La particularité de la situation, c’est que le cinéma regarde le jeu vidéo de haut, alors que le jeu vidéo a bien plus à proposer. La différence c’est que le cinéma est plus vieux, donc plus installé et plus compris. A une époque le cinéma était détesté. Les gens disaient “ Qu’est ce que c’est que ça, ce théâtre de pacotille ”. Le cinéma était vu comme quelque chose de non artistique alors qu’aujourd’hui c’est le 7ème art. Alors ça ne m’intéresse pas de savoir si le jeu vidéo est dédié à devenir un art. Ce sont les propositions artistiques qui m’intéressent, d’aller d’un univers de Remember Me avec Neo Paris et des mémoires digitalisées à Assassin’s Creed ou Orcs and men qui parlent d’esclavage et de racisme. Donc je voyage énormément artistiquement. J’aurai été complètement limité si j’avais fait du cinéma. Ce n’est même pas un choix, c’est une évidence.
Pourquoi de la musique plus orchestrale qu’électronique ?
C’est un vrai problème que d’imaginer que la musique est prise plus au sérieux si elle est orchestrale que si elle est électronique.
C’est aussi un problème que la musique de jeu vidéo ai beaucoup hérité de la musique de film, en terme de langage j’entends. Et quand je dis langage, c’est discourant, c’est-à-dire la manière dont on écrit la musique. Ils ont créé le rapport musique- image. Donc on a ce réflexe.
Est-ce une erreur ?
Ce n’est pas une erreur. C’est une erreur si on l’applique de manière fonctionnelle au jeu. C’est à dire si ça reste une illustration d’une situation ou d’une émotion, comme au cinéma.
Alors que dans le jeu vidéo c’est l’illustration ET la fonction musicale. C’est le métissage de ces deux points qui vont fabriquer le jeu vidéo. Il ne faut pas ignorer le langage du cinéma.
C’est comme pour la caméra, il ne faut pas ignorer ce que le cinéma a créé. Mais pour ce qui est de la VR, c’est plus compliqué. Au-delà du cinéma, l’approche orchestrale provoque beaucoup de choses. Mais il y a l’orchestrale épique avec beaucoup trop de samples et il faut trouver un juste milieu. Il ne faut pas sous-estimer la musique électronique, je suis plus fan d’électro que de musique classique.
Avec ce discours, ne donnes-tu pas la définition de l’Art, celui qui provoque des émotions, donne du sens, questionne le monde ?
Je ne sais pas ce que c’est que l’Art. Je vais te ressortir l’interview faite par Serge Gainsbourg à Apostrophes. Globalement, Gainsbourg dit que ce que nous faisons avec de la chanson, c’est de l’Art mineur. Pour ne pas dire que ce n’est pas un Art. En ce qui concerne l’Art majeur : en premier l’architecture, puis la musique classique, la peinture, la poésie. C’est l’idée qu’il y a une nécessité d’initiation. On doit être initié. Pour avoir vécu une éducation franco-française de l’art musical franco-français, je lui donne totalement raison.
Alors, le cinéma n’est pas un Art ?
Je n’en sais rien. Je ne vais pas être de celui qui juge de cela. Je considère que ce qu’il dit résonne chez moi. Je pense qu’aujourd’hui personne ne sait faire un jeu vidéo. Est-ce que c’est un Art en devenir ? Peut-être… Mais il faut rester humble devant la tâche qu’il nous reste à accomplir avant de pouvoir se féliciter d’avoir fait quelque chose d’aussi abouti que ce qu’est l’architecture ou la musique classique. Ça n’enlève en rien la qualité de ce que nous faisons dans le jeu vidéo. Mais cette idée d’initiation résonne beaucoup en moi. Ça ne veut pas dire qu’il faut suivre les règles, tu peux tout casser. L’initiation est obligatoire et peut prendre des années et des années !
Mais il y a des formations en Sound Design ?
Évidemment qu’il y a des formations. Mais dans dix ans, les outils auront changé. C’est sans cesse une fuite en avant, puisque le jeu vidéo suit la technologie.
Revenons à Get Even, selon toi le “meilleur jeu du monde” et peut-être même “expérience” en tant que joueur. Alors, quelle est ta meilleure et ta pire expérience professionnelle ?
Ce n’est pas de la langue de bois : j’ai toujours mis un point d’honneur à faire en sorte que ce qui comptait pour moi c’était les gens avec qui je travaillais, quelque soit le projet. J’y fais très attention car je sais que je vais passer des mois, peut-être des années avec eux. Surtout, je sais que le jeu vidéo sur lequel on travaille peut se faire killer, ou ne pas finir comme on le veut. Pour plein de raisons, le résultat du jeu n’est pas celui que l’on souhaitait. Faire un jeu vidéo est très difficile. Je ne vais pas commencer à me dire que si le jeu est un échec c’est une mauvaise expérience et inversement.
Maintenant, la pire expérience que j’ai pu avoir c’est quand j’entends des professionnels (développeurs) dire du mal de certains jeux. Alors que l’on sait que, lorsqu’on est professionnel, les problèmes inhérents à toute production sont vastes. C’est la seule chose qui puisse être désagréable. Mais ça arrive très rarement. Quand Alone in the Dark est sorti, c’était le jeu le plus décevant pour l’ensemble de la communauté gaming, les gens ne se rendaient pas compte de la qualité. Encore à l’heure actuelle, aucun jeu ne propose des technologies comme ils ont créé, c’est inimaginable… mais on s’est planté !
As-tu un autre exemple de mélange original, à l’instar d’Assassin’s Creed ?
Le meilleur mélange dont je puisse parler c’est Remember Me. Et c’est un miracle que le jeu soit sorti. Artistiquement, c’est le projet le plus précieux et risqué que j’ai fait. L’idée du jeu est qu’il y a une forme organique, la mémoire que l’on digitalise et que l’on conserve. Des personnes sont capables de les visiter et les manipuler. Comme Nilin, l’héroïne, certains en souffrent. Donc on s’est dit qu’il faut faire pareil avec la musique. On a une forme organique, quelque chose que l’on enregistre, qui soit “vivant”, qui soit digitalisé puis manipulé par des effets électroniques. Là a commencé un travail complètement insouciant, comme enregistrer un orchestre. Remember Me avait une vocation triple A, donc DontNod n’a pas hésité à soutenir le projet. On est allés à Londres avec John Kurlander, je travaillais avec lui pour la première fois. Le caractère sérieux de l’orchestre fait vendre. Donc la manipulation de l’orchestre par des effets électroniques a été révolutionnaire. On a eu un grand succès. J’ai reçu de nombreuses récompenses, sauf en France (rire).
Pourquoi un studio avec ta sœur à San Francisco ?
J’ai une boîte de production de musiques, avec ma sœur et un autre associé. Quand j’ai fini Alone in the Dark, j’ai décidé de déménager, de partir aux États-Unis car j’avais énormément d’amis là-bas qui me disaient de venir. On s’est installés à San Francisco. Comble du comble, c’est là que Remember Me est arrivé et que tous les projets français et européens ont commencé. Donc ma sœur est partagée entre la France et les Etats Unis. Quant à moi, je reste beaucoup en France. Je travaille sur trois jeux pour 2019 et un triple A en 2020.
Tu peux en citer un ?
Et voilà…
Ahhh Get Even 2, tu peux le dire ??!
Ecoutez bien ce que je vais vous dire, Get Even 2 ARRIVERA un jour. Je ne dormirai pas avant (rire).
Le producteur est un français, Lionel Lovisa. Il a fait 10 ans chez Kojima. Il est incroyable ! Il y a deux français aujourd’hui que je trouve incroyables, Lionel Lovisa et Nicolas Touzet d’Astro Bot. Hier je jouais, j’avais les larmes aux yeux. Le jeu est tellement beau, tellement généreux, il y a tellement de détails. Et ils ont exploité à fond la VR. On a l’impression que toute la journée, on a des cadeaux !
Faudrait tous que vous disiez qu’on a besoin d’un Get Even 2. On réclame Beyond Good and Evil 2 depuis 15 ans … Avec Get Even 2, je pense qu’en 35 ans on peut l’obtenir. 35 ans de Lobbying !
Il faut jouer au premier et il faut jouer jusqu’au bout. il est en avance de 15 ans, l’approche de la musique y est extraordinaire. J’ai donné une masterclass, les professionnels savent qu’il y a un vrai intérêt pour l’audio.
Enfin, si tu n’avais pas de limite de temps, de lieu et d’argent, que ferai-tu pour que Get Even 2 ai (musicalement) 30 ans d’avance ?
Get Even 2 sera une réalité, un jour ! Quoiqu’il en coûte ! Ce sera un jeu dont la tag line se lira ainsi : « Because you didn’t play the first one ! «
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