Katsuhisa Sato, dit Kats Sato, est un artiste qui a débuté au Japon au siège de SEGA avant de gravir plusieurs échelons qui l’ont amené au poste de producteur chez SEGA Europe. Créateur de la licence Clockwork Knight sur Saturn, il a joué également un rôle très important dans la collaboration entre SEGA et le studio Traveller’s Tales, à l’origine de Sonic 3D ou encore Sonic R. Ce n’est pas un secret, j’ai un attachement particulier à ces titres et c’est, en partie, pour cette raison que j’ai décidé de prendre contact avec ce monsieur. Comme bien souvent, j’y ai découvert une personne d’une incroyable gentillesse et qui a pris le temps de répondre à mes nombreuses questions sans aucune langue de bois. Je vais d’ailleurs le recontacter incessamment sous peu pour préparer quelque chose pour les Éditions Pix’n Love mais… chut, j’en ai déjà trop dit. Kats Sato m’a répondu juste avant son départ de Sumo Digital en Angleterre et il vient de rejoindre, après de longues années, son Japon natal. En lui souhaitant un excellent retour aux sources, je le remercie pour cet entretien passionnant. Bonne lecture !
Pouvez-vous nous raconter comment tout a démarré pour vous ?
Six mois avant d’obtenir mon diplôme universitaire aux États-Unis, j’ai participé à une session d’entretiens d’embauche pour des entreprises japonaises. SEGA était l’une des sociétés participantes et, honnêtement, elle n’était pas mon premier choix car je n’étais pas un garçon qui jouait beaucoup aux jeux vidéo. Lors des entretiens, de nombreuses entreprises japonaises ne se souciaient que de mon niveau d’anglais et n’étaient pas intéressées par ce que j’avais appris à l’université. Cependant, SEGA avait de l’intérêt pour mes compétences artistiques et ils m’ont raconté le processus du développement d’un jeu vidéo. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi SEGA.
Quand avez-vous commencé à travailler pour SEGA ? Vous souvenez-vous de votre entretien d’embauche ?
Au début des années 1990, il était très rare que SEGA embauche une personne étudiant à l’étranger dans un département de développement. Par conséquent, j’ai été affecté à la division AM, qui possédait la technologie la plus avancée à l’époque. J’ai travaillé en tant qu’artiste à l’aide d’outils développés par SEGA que je n’avais jamais vus aux États-Unis.
Quelles étaient vos relations avec Hayao Nakayama ? Il est connu pour avoir un tempérament strict mais plusieurs développeurs japonais m’ont dit qu’il était très gentil, intéressé par les nouvelles technologies et très proche de ses équipes. Quels souvenirs avez-vous de lui ?
La première fois que j’ai rencontré Mr. Nakayama directement, c’était lors de la réunion de présentation du concept des jeux-maison pendant ma première année. Il était très strict mais il était assez gentil avec les créateurs. Il était très ouvert aux nouvelles idées et prenait des décisions rapidement, donc beaucoup des jeux exceptionnels de SEGA ont été développés à cette époque.
Quel a été votre rôle pendant votre carrière chez SEGA Japon ?
Après avoir rejoint l’entreprise, j’ai travaillé pendant deux ans en tant qu’artiste pour le département AM1 et j’ai notamment dessiné les graphismes d’OutRunners, de Golden Axe et d’autres titres. Pendant ce temps, j’ai pu soumettre diverses idées de jeux et les résultats furent positifs. J’ai alors été muté au département CS en tant que game designer pour le lancement de la SEGA Saturn.
Quels souvenirs gardez-vous de SEGA au Japon ? L’ambiance générale, les collègues, les bureaux… Vous souvenez-vous de l’organisation au sein de SEGA Japon ? Était-ce une configuration en open-spaces ?
Au cours de mes cinq premières années, j’ai travaillé très dur en séjournant 20 jours par mois dans les bureaux et en effectuant 16 heures par jour de travail. Mais je n’étais pas le seul à travailler aussi dur. La plupart des jeunes employés travaillaient aussi très dur.
Vous souvenez-vous de la création de Golden Axe et OutRunners ? Avez-vous travaillé avec Makoto Uchida (créateur de Golden Axe) et Yu Suzuki ?
J’ai vraiment apprécié mon job dans le département AM. Mes supérieurs m’ont seulement enseigné les bases et je devais ensuite apprendre à réaliser mon travail par moi-même. M. Uchida a été très gentil avec moi. Il a accepté plusieurs de mes suggestions pour le jeu d’arcade Golden Axe. Sinon, quand j’étais au Japon, je n’ai pas travaillé avec Mr. Suzuki car nous n’étions pas dans la même section. Cependant, j’avais appris que Mr. Yu Suzuki avait le même passe-temps que moi qui était le billard américain et on jouait ensemble quasiment chaque semaine.
Maintenant, parlons un peu de Clockwork Knight 1 & 2. Si mes informations sont exactes, vous étiez game designer et character designer pour ces deux jeux. Pouvez-vous nous expliquer la genèse du projet ? L’atmosphère et les personnages étaient uniques et les graphismes étaient impressionnants à l’époque.
Lorsque SEGA a lancé la Saturn, la Sonic Team était occupée à concevoir des jeux pour la Mega Drive qui était populaire en dehors du Japon. Par conséquent, SEGA voulait un nouveau jeu d’action pour le lancement de la Saturn et a mis en place une compétition en interne. Clockwork Knight était mon idée et consistait en un jeu d’action/plateforme 2D mâtiné d’éléments en 3D. Ce concept a été approuvé par la réunion des membres du conseil d’administration, dont faisaient partie Mr. Nakayama et M. Naka (co-créateur de Sonic).
Après cela, vous avez travaillé sur l’un de mes jeux préférés sur SEGA Saturn : Sonic R. Quelles étaient vos relations entre SEGA et Traveller’s Tales ? Sonic 3D et Sonic R sont de très bons jeux ! Pourriez-vous nous parler de ces projets ? Ressentiez-vous une certaine pression sur vos épaules à l’époque ?
Si ma mémoire est bonne, c’est Mr. Naka qui est devenu fan du travail de Traveller’s Tales en découvrant la version Mega Drive de Toy Story et l’équipe de SEGA Overseas (une division spécialisée dans les jeux à destination de l’occident) a approché le studio pour développer un nouveau jeu Sonic sur Mega Drive. J’ai été impliqué dans le projet Sonic 3D dès le départ mais toutes les négociations commerciales avaient été réglées en amont. Sur ce projet, il y avait trois level designers, dont Mr. Yasuhara (level designer de Sonic the Hedgehog) et Mr. Iizuka (qui dirige aujourd’hui la Sonic Team). D’abord, ils ont dessiné les plans des niveaux depuis le studio japonais et j’ai donné ensuite la marche à suivre pour le développement à Traveller’s Tales. Internet et les e-mails n’étaient pas démocratisés à l’époque, si bien que je devais passer des appels internationaux onéreux, depuis le Japon, pour faire le suivi du game design. Lors de la dernière ligne droite, ces game designers sont partis en Angleterre et se sont installés, pendant plus de deux mois, dans un hôtel à proximité de Traveller’s Tales pour finaliser le projet. Les designers japonais ont créé la base du game design mais je parlais souvent avec Jon Burton (responsable du studio Traveller’s Tales) et je décidais d’idées spécifiques pour le Royaume-Uni. Jon était très créatif et nous a aidé à créer un grand jeu.
Avant de terminer Sonic 3D, SEGA a estimé qu’il fallait garder Traveller’s Tales pour le prochain projet lié à la licence Sonic. L’idée de Sonic R est venue rapidement et on a décidé de poursuivre notre collaboration avec Traveller’s Tales pour ce nouveau projet. Jon s’est marié pendant la conception du jeu et on était en si bons termes qu’il m’a invité à son mariage. Néanmoins, tout ne s’est pas bien passé durant le développement. Certaines demandes provenant du Japon ont dû être rejetées et j’ai eu une conversation assez houleuse avec Mr. Naka. En réponse, j’ai choisi de ne pas mettre mon nom au générique du jeu.
Après plusieurs années chez SEGA au Japon, vous devenez Producteur Exécutif et Directeur du développement produit au sein de SEGA Europe. Était-ce une décision personnelle ? Quel était votre état d’esprit à l’époque ?
Non, il ne s’agissait pas de ma décision. Avant d’être muté à SEGA Europe, SEGA avait déjà négocié la création d’un nouveau jeu Sonic avec Traveller’s Tales. Dans le même temps, SEGA Europe a demandé l’apport d’un producteur de SEGA Japon maîtrisant l’anglais et le japonais. Quelques personnes ont répondu à cette proposition et j’ai été choisi parmi elles.
Pouvez-vous décrire votre rôle au sein de SEGA Europe ?
Comme mentionné auparavant, lors des premières années, j’étais rattaché au développement de jeux Sonic en tant que producteur. Après les projets Sonic, j’étais charge du développement de différents titres de lancement pour la Dreamcast en tant que responsable du département de production.
Quelle était la différence entre SEGA au Japon et SEGA en Europe ?
Il n’y avait pas beaucoup de différences chez SEGA Europe à l’époque car les employés japonais recevaient les instructions de SEGA Japon. L’Europe et l’Amérique du Nord étant des marchés très importants, SEGA a contacté activement les studios européens pour créer des jeux. Il y avait d’ailleurs de meilleurs studios en Europe qu’en Amérique du Nord.
En tant que producteur, qu’avez-vous ressenti à l’époque de la Saturn puis celle, ensuite, de la Dreamcast ?
Honnêtement, en tant que producteur de SEGA Japon, nous n’avons pas trouvé que la Saturn ait été une grande réussite. Au Japon, la Mega Drive n’a pas rencontré le succès, si bien que SEGA Japon s’est précipité pour sortir la Saturn. Mais, pour être honnête, la Mega Drive se vendait toujours bien en Europe à cette époque. Pour la Dreamcast, SEGA a lancé une campagne promotionnelle massive dans le monde. Tout le monde, chez SEGA, était tellement enthousiasmé par le lancement de la Dreamcast à l’époque…
Quel était votre relation avec Kazutoshi Miyake ?
Mr. Miyake était alors PDG de SEGA Europe. Il travaillait pour une société commerciale japonaise dont il avait plus une connaissance du business que du développement de jeux, ce qui m’a été très profitable.
Vous souvenez-vous de la fin de la Dreamcast ? À l’époque, cela a été vécu comme un tremblement de terre pour les fans de SEGA. Comment était l’ambiance au sein de SEGA Europe durant cette période ? Quelle était votre position vis-à-vis de cette décision ? Vous souvenez-vous pourquoi une telle décision a été prise ?
SEGA a toujours adopté de nouvelles technologies. La Dreamcast a également introduit le concept des jeux en ligne dans le monde entier mais, à l’époque, c’était un peu trop tôt. De plus, nous avons utilisé la technologie du GD-ROM pour stocker de grandes quantités de données et empêcher le piratage mais une faille de sécurité a été trouvée. Un jeu piraté est apparu et la PlayStation 2, capable de lire les DVD, a été lancée sur le marché. Bien sûr, cela n’est qu’une partie des raisons de la fin de production de la console mais la production de machines, en interne, implique un risque considérable. En vérité, l’ambiance de SEGA Europe n’était pas si mauvaise. Comme vous le savez, l’équipe de développement a été immédiatement impliquée dans le développement de titres PS2 et a rapidement réalisé des portages de jeux Dreamcast. Nous étions donc très occupés après la fin de la Dreamcast.
Après une longue carrière en Europe, vous êtes devenu Producteur Exécutif pour SEGA Japon. Avant de rejoindre Atari, comment se sont déroulées ces dernières années au sein de SEGA ? Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
J’ai été affecté au département « Hensei » qui organise et dirige la création de jeux à moyen et long terme chez SEGA. Je supervisais les réunions avec Mr. Sugino, Mr. Nagoshi et Mr. Naka pour discuter des titres individuels de chaque équipe. Lors de ces réunions, nous discutions du développement interne de SEGA ainsi que des jeux des développeurs tiers amenés à être proposés en titres de lancement. C’était très fun.
Avez-vous des anecdotes étonnantes ou drôles de votre carrière chez SEGA ? Création de jeux, ambiance, collègues, art de vivre européen ou japonais…
Les célébrités. J’ai rencontré plusieurs célébrités quand je travaillais pour SEGA : Ayrton Senna, George Lucas, John Woo et Michael Jackson. Senna est venu au Japon au siège de SEGA et a donné des indications de pilotage aux développeurs. Pour George Lucas, je me suis juste joint à une discussion et je lui ai présenté brièvement le business de SEGA. Sinon, avec plusieurs créateurs japonais, nous nous rendus au bureau de John Woo afin de discuter de projets potentiels. Quant à Michael Jackson, je n’étais là que depuis deux ans chez SEGA et j’ai été choisi pour lui présente quelques jeux d’arcade au siège de SEGA. À cette époque, il n’y avait pas beaucoup de créateurs qui parlaient anglais à SEGA Japon. Mais il y avait des gens, chez SEGA, qui avaient rencontré encore plus de célébrités que moi. Par exemple, Mr. Naka a été invité au Neverland de Michael Jackson aux États-Unis.
Au cours de votre carrière chez SEGA, avez-vous vu des prototypes ? Comme la Jupiter, la Pluto, etc. Si tel est le cas, quelles étaient ces consoles ?
Comme vous le savez, cela était géré par le département hardware de SEGA au Japon. Je crois que j’ai vu la Pluto mais je ne me souviens plus très bien…
Je ne sais pas si vous pourrez répondre à cette question, mais pourriez-vous nous parler des relations entre SEGA Japon et SEGA of America ? En Europe et aux États-Unis, des légendes urbaines circulent sur la confrontation entre SOA et SOJ. Que pensez-vous de ces histoires ?
Pour être honnête, SEGA Japon et SEGA of America n’ont pas été en mesure de coopérer en matière de business. SEGA of America avait son grand marché d’Amérique du Nord mais il ne pouvait pas bien contrôler le business du développement interne et externe des produits.
Pouvez-vous nous donner votre ressenti de cette carrière chez SEGA ?
Je pense que le système actuel de SEGA a changé mais, quand j’y étais, il y avait un processus qui respectait les avis des concepteurs. Par conséquent, il y avait des projets que chaque équipe menait secrètement et les créateurs avaient un environnement de développement gratuit où ils pouvaient essayer diverses choses. Actuellement, le coût de développement des jeux sur consoles augmente et créer des jeux comme autrefois peut être considéré comme du gaspillage. Mais ce « gaspillage » justement était très amusant pour nous, les créateurs.
Vous avez travaillé chez Sumo Digital en tant que Directeur du développement. Que pensez-vous de l’industrie vidéoludique actuelle ?
Avec l’essor des jeux mobiles en free-to-play, le modèle économique des jeux a changé. Je pense que cela affectera grandement les jeux console à l’avenir. Afin de répondre à la diversification des besoins des joueurs, les jeux doivent être développés avec une attention constante portée au potentiel commercial d’Internet.
Merci à Kats Sato pour avoir pris de son temps pour répondre à cette interview.