Souvent moquée, parfois malmenée, la (ou le) Gamecube de Nintendo n’a pas eu une carrière facile. Malgré ces remous, elle a pourtant fait fondre le cœur de nombreux joueurs. Aujourd’hui, treize ans plus tard, beaucoup en parlent avec des pépites dans les yeux, se remémorant des souvenirs que seule la Gamecube a pu leur procurer. Sans elle, nous n’aurions pas vécu certains de nos plus belles expériences de joueurs. De The Legend of Zelda : The Wind Waker à Resident Evil 4 en passant par F-Zero GX ou Rogue Squadron II, cette machine possède une ludothèque extraordinaire. Mais savez-vous comment tout a commencé ? Cela fait presque seize ans que la console cubique a vu le jour. L’occasion pour JOYPAD de revenir sur le phénomène Gamecube.
Nous sommes en 1997. Lassés par les règles de plus en plus strictes au sein de leur société, une vingtaine d’ingénieurs de Silicon Graphics, Inc. (SGI) quittent leur poste et fondent ArtX. Parmi eux se trouvent de véritables pointures du secteur de l’imagerie informatique. Le Dr. Wei Yen est l’ancien responsable du département ayant œuvré pour la conception de la Nintendo 64 (Nintendo ayant travaillé avec SGI lors de la conception de sa console de salon) tandis que David Orton, tête pensante de la division graphique de SGI est nommé Président de ArtX. Au départ, la vingtaine d’employés tentent de mettre au point une puce graphique alliant performance et accessibilité. À l’époque, NVIDIA et sa 3DFX dominent totalement le marché et rien ne semble être en mesure d’arrêter la firme américaine. En mai 1998, faisant fit des multiples procès que SGI intente à ArtX (pour violation de secrets professionnels, concurrence déloyale, etc.), Nintendo contacte ArtX pour sa future console dont le nom de code est alors « N2000 ». Le processeur graphique se nomme quant à lui Flipper. À l’E3 99, soit un an plus tard, le projet « Dolphin » est annoncé par Nintendo par le biais de Howard Lincoln, Président de Nintendo of America (NOA). Les kits de développement pour les studios sont déjà en circulation, et 4 firmes sont déjà équipées : RARE, Retro Studios, NST et EAD. Lincoln en est certain, la Dolphin sera au moins aussi puissante, si ce n’est plus, que la PlayStation 2.
À l’été 99, des informations de plus en plus précises circulent. Plusieurs développeurs ont pu approcher un prototype et les langues commencent à se délier, en douce. On parle alors d’une technologie très puissante basée sur le Power PC 750 (utilisée par les Macintosh G3). Il s’agit d’une version customisée appelée le Gekko. Fidèle à sa logique de convivialité, Nintendo prévoit 4 ports manettes (et un port USB) et la sortie est programmée pour l’automne 2000 au Japon et le printemps 2001 aux States (l’Europe ? Quoi l’Europe ?). À cette époque, le mini-DVD n’est pas d’actualité. Il s’agit d’un DVD classique avec une console capable de lire les films. Dès lors, la machine est en marche et rien ne pourra l’arrêter. Les journalistes assistent à une passionnante pré-offensive avec la Dreamcast de SEGA (disponible depuis fin 98), la future PlayStation 2 de Sony et la désormais Dolphin de Nintendo.
Quelques temps plus tard, Nintendo fait machine arrière et explique avoir abandonné l’idée d’une console capable de lire des DVD vidéo. Celle-ci en sera capable à travers une extension peu onéreuse uniquement. En agissant de la sorte, Nintendo souhaite proposer sa future machine à un coût ultra agressif : 199 $. Par ailleurs, plus les mois passent et plus les gens bien informés parlent d’un retard conséquent. Le 19 octobre 1999, Nintendo débloque la bagatelle de 300 000 000 000 de yens, soit 2,8 milliards de dollars, pour l’achat des semi-conducteurs nécessaires à sa future console. Dans la foulée, NEC construit une usine au sud du Japon pour la somme de 800 millions de dollars. Celle-ci sera entièrement dédiée à la fabrication de semi-conducteurs et de la mémoire pour la Dolphin. Tout est fait pour que la console soit la moins chère possible à la sortie.
« Une console de jeu vendue 40 000 yens (380 dollars) peut être acheté par des jeunes qui ont accès à un emploi partiel mais cela reste beaucoup trop élevé pour des enfants. La Dolphin ne sera pas aussi chère que ça. »
Hiroshi Yamauchi, Président de Nintendo jusqu’en 2002
Mais le retard, lui, se confirme. Alors qu’ArtX est rachetée par le géant ATI en avril 2000, Nintendo peine à tenir ses délais. Si la machine est prête dans ses grandes largeurs (il ne reste que de menus détails à régler à l’été 2000), les jeux sont loin d’être en phase de finalisation. Le 24 août 2000, la presse du monde entier s’agglutine devant le Makuhari Messe de Chiba. La fameuse Dolphin va être enfin révélée à la face de la planète. Ce jour, il s’agit d’un double-évènement puisque Nintendo révèle aussi sa nouvelle portable : la Game Boy Advance. Soudainement, la lumière s’éteint. Deux hommes apportent une cabine de magicien sur scène et dans un déluge de son et lumière, cinq femmes sortent de la fameuse boite, tenant avec elle de drôles de consoles cubiques : la Nintendo Gamecube. Les démos qui suivent sont sujettes à des salves d’applaudissements et de cris. Mario, Metroid, Wave Race, Zelda, Pokémon, Luigi… la machine a l’air d’en avoir sérieusement sous le capot.
Si son look interpelle, ce n’est pas un hasard. Ashida Kenichiro et son équipe ont œuvré pour que leur bébé ne ressemble à aucun autre. L’idée, avec la Gamecube, est de proposer une console petite et que l’on peut transporter. Il s’agit des tendances japonaises de l’époque et Nintendo n’a jamais voulu créer un appareil audio/vidéo standard.
« Au départ, j’ai proposé plusieurs idées avec des formes moins grandes mais plus larges que la Gamecube. L’une des premières idées a été de créer quelque chose ressemblant à une soucoupe volante. Ces modèles ne fonctionnaient pas bien, donc on a pris le temps d’analyser les interactions entre les joueurs et leurs consoles. Je voulais que la Nintendo Gamecube s’intègre dans un environnement convivial. La forme du cube donne cette impression d’être très compacte, surtout quand on la pose sur le sol. J’aime ce look simple et sobre. »
Ashida Kenichiro
Si la Gamecube interpelle, c’est aussi parce qu’elle propose une… poignée. Dès les prémices de la conception, cette idée a été émise par plusieurs membres de Nintendo, sans pouvoir la mettre en pratique. En adoptant la forme du cube, cette poignée s’adaptait parfaitement à cette nouvelle forme. Pour comprendre, il faut tout simplement s’imaginer que les foyers sont nombreux à posséder plusieurs télévisions. Au début des années 2000, ce type d’appareil est très accessible et il n’est pas rare, dans les familles, d’avoir deux voire trois télés. Par conséquent, en choisissant une console qui se déplace, on peut passer de l’un à l’autre des téléviseurs très facilement. Et avec ce look, décidément unique, la console s’adapte à toute la famille, des plus âgés aux plus jeunes.
Shigeru Miyamoto, père des plus grandes licences de Nintendo, a travaillé assidûment sur la conception de la console et de sa manette. Il a d’ailleurs tout fait pour que le nom Dolphin soit conservé mais s’est heurté à des refus dans l’équipe. Au final, selon Perrin Kaplan, Responsable du marketing et de la communication de NOA, Gamecube est un nom qui a été imaginé par les deux entités de Nintendo. Une véritable collaboration américano-japonaise.
Pourtant, en cet été 2000, une absence de taille se fait sentir : Hiroshi Yamauchi, Président de Nintendo, n’est pas présent. Tous s’accordent à dire qu’il prépare sa retraite, surtout après avoir vu Ashida Kenichiro et Shigeru Miyamoto sur scène. La Nintendo Gamecube, quant à elle, laisse des étoiles dans les yeux des journalistes présents. Impossible de ne pas succomber à son charme, son look, ses DVD désormais en 8 cm (signés Panasonic) capables de supporter jusqu’à 1,5 Go de données. Et que dire de sa manette ? Entièrement imaginée par Shigeru Miyamoto, elle est le fruit d’une très longue réflexion. Encore aujourd’hui, elle est considérée comme l’une, si ce n’est la meilleure manette de tous les temps. D’ailleurs, la Gamecube devait aller beaucoup plus loin comme le rapporte le site Dromble.com. En effet, la société Gyration, spécialisée dans les supports à détection de mouvements, avait proposé ses idées à Nintendo. Les capteurs gyroscopes, telle qu’on les a connu avec la Wii, étaient déjà en préparation à cette époque. Cela va même plus loin, car les gars de Factor5, géniteurs du fantastique Rogue Leader, ont développé leur jeu avec des prototypes de manette avec capteur gyroscopique. L’idée sera finalement abandonnée pour être optimisée au maximum (jusqu’à une certaine Wii).
« Cette manette Gamecube est celle sur laquelle j’ai passé le plus de temps. Lorsqu’on regarde le contrôleur final, je pense qu’il s’agit de la quatrième voire cinquième version depuis la conception originale. Notre joueur cible pour ce contrôleur n’a pas été défini. Son utilisation devait être très large, aussi bien pour un joueur débutant que pour une grand-mère. Même des enfants avec des petites mains sont capables de l’utiliser (Note de l’auteur : Shigeru Miyamoto a été obnubilé par les soucis causés par le pad Nintendo 64, considérant la manette comme trop grosse pour un joueur japonais et parfaite pour un joueur américain). »
Shigeru Miyamoto