Il y a 65 millions d’années, à l’ère du Crétacé, une météorite s’écrase dans la Péninsule du Yucatan causant la disparition des dinosaures. Bien des siècles plus tard, en 2000, un tremblement de terre (le Big One) frappe Mexico et fait émerger une île inconnue de tous. Face à une telle découverte, les gouvernements de différents pays décident de mener des investigations et baptisent l’endroit « L’île des dinosaures ». Malheureusement, malgré les nombreuses expéditions, personne ne parvient à découvrir ce qui se cache derrière ce mystère et les années s’écoulent…
UN JEU PROMETTEUR
Nous sommes désormais en 2018, Eliot et son ami sont en train de pêcher au large de l’Île des Dinosaures. Soudain, une explosion retentit et vient percuter de plein fouet l’embarcation, causant d’étranges phénomènes paranormaux. Quand il se réveille, Eliot se retrouve prisonnier d’un gigantesque dôme et doit maintenant trouver le moyen de retrouver le monde qui est le sien. Blue Stinger, avant même sa sortie, a fait couler beaucoup d’encre. Réalisé par une équipe de 18 personnes (que des mecs et un WC souvent occupé, dixit les membres de l’équipe), le jeu est l’œuvre du studio Climax Graphics, une branche annexe de Climax Entertainment, à l’origine de Dark Savior sur Saturn mais aussi et surtout de Lankstalker sur Mega Drive. Bien que n’exploitant que la moitié des capacités réelles de la Dreamcast, Blue Stinger s’est rapidement imposé comme l’un des titres les plus prometteurs du support. Aussi et parce que ça me tenait à cœur depuis longtemps, j’ai voulu savoir ce qui se cachait derrière ce titre étonnant, à la fois adoré par certains et décrié par d’autres (à sa sortie, les critiques japonaises, par exemple, n’ont pas été tendres).
Ambitieux, Blue Stinger l’est assurément. Selon Shinya Nishigaki, son producteur, la pré-production a débuté en plein cœur de l’ère 32-bits. C’est en effet en septembre 1996, soit plus de deux ans avant l’arrivée de la Dreamcast sur le sol nippon, que les préparatifs ont débuté. À l’époque, l’équipe est rejointe par Masaki Segawa, un designer freelance ayant oeuvré sur Dark Savior (chez Climax Entertainment). Ce dernier a pour mission de réaliser les premières lignes du script du futur jeu qui prend les traits d’une aventure mélangeant action, fantastique et horreur. Au Japon, l’artiste est connu pour être l’origine de la série Basilisk, un manga adapté en une série animée de 24 épisodes. À cette même période, Climax Graphics intègre de nouveaux membres et c’est ainsi que le grand projet est lancé.
LES COULISSES
Pendant plus d’un an, de nombreux travaux sont réalisés (croquis, recherche pour les environnements, création des personnages… ) jusqu’à décembre 1997. La phase de pré-production étant terminée, l’équipe s’attèle au développement. C’est en effet à cette période que SEGA fait parvenir les premiers kits de développement de sa future Dreamcast. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les créateurs voient large : environnements en 3D temps réel, 22 armes, 230 zones à explorer, 200 textures (pour les devantures des édifices notamment) inspirées de Blade Runner ou encore Black Rain… Climax Graphics ne recule devant rien. L’équipe, qui entrevoit une sortie pour les fêtes de fin d’année de l’année 1999, va même jusqu’à imaginer une ambiance de Noël avec des costumes farfelus (comme celui d’un Père Noël) et même des musiques et décors festifs inspirés par… le premier film Die Hard. La patte hollywoodienne de Blue Stinger se retrouve d’ailleurs dans ses thèmes musicaux signés Toshihiko Sahashi (sa première composition à l’époque) avec des tons très cinématographiques et l’utilisation d’un véritable orchestre avec 50 musiciens pour les séquences d’ouverture et de fin du jeu. La réalisation de Blue Stinger fut épique et c’est le moins qu’on puisse dire. L’exigence du projet était telle qu’il aurait fallu 50 personnes (et non 18) pour tenir les délais. Au final, l’équipe n’a pris que six jours de congés en deux ans et le développement a pu se terminer, grâce à l’abnégation de tous les membres, en mars 1999.
Pour bien prendre conscience de l’ampleur du jeu, il faut s’imaginer que chacun des monstres a été designé par le grand Robert Short, à qui l’on doit les créatures déjantées de Beetlejuice. Quant au storyboard, il a été conçu par Pete Von Sholly que l’on retrouve sur Mars Attack ou encore The Mask. Autant dire qu’il y a du lourd derrière Blue Stinger. En revanche, et c’est sans doute pour cela que le jeu paraît si somptueux par certains aspects et quasi artisanal par d’autres, l’équipe a été obligé de se débrouiller avec un budget limité. De ce fait, l’acteur qui incarne Eliot a été payé… 100 dollars pour l’ensemble de son travail tandis que la synchronisation labiale (le mouvement des lèvres qui s’accorde aux dialogues) a été très difficile à régler. En version japonaise, cela peut paraître surprenant mais les développeurs ont fait le choix de conserver les voix et textes anglais (avec sous-titrage japonais) pour garder l’approche hollywoodienne.
LA VERSION DE TROP
Lors de sa sortie, le 25 mars 1999, le résultat ne convient pas du tout à la presse japonaise. Peut-être trop hollywoodien, le jeu est incompris et les ventes s’en ressentent. Aux États-Unis et en Europe, l’accueil est bien différent. Blue Stinger est bien accueilli et parvient ainsi à s’écouler à plus de 500 000 exemplaires à travers le monde. En revanche, il va se passer un évènement qui restera en travers de la gorge de Climax : l’arrivée d’Activision dans le deal. Pour l’occident, SEGA signe un contrat avec Activision pour l’édition du jeu en dehors des frontières japonaises. En l’état, rien d’anormal et nombreux sont les développeurs à attendre impatiemment la sortie du jeu sur les autres continents. Mais tout ne va pas se passer comme prévu…
Convaincue par les critiques de la presse japonaise, Activision va demander la modification de toutes les caméras du jeu. Alors que la version NTSC propose une approche cinématographique, le studio se voit obligé d’intégrer une « Follow Cam ». Ce changement, occasionnant une absence de tension et de plans cinématographiques, va alors être fustigé par la presse et les joueurs. La comparaison entre les deux versions, même si on se fait à la mouture occidentale, est sans appel. Lors de son arrivée en Europe, c’est la douche froide. Dans le Joypad n°90, proposant une avalanche de tests Dreamcast, on peut même lire la chose suivante : « Massacré oui, Activision a massacré Blue Stinger ! ». Malgré cela, l’accueil reste positif (y compris chez Consoles + et Dreamcast Magazine, moins chez Player One) et le jeu se vendra correctement sous nos latitudes.
Là où cela devient moins marrant, c’est que Climax Graphics et son producteur, Shinya Nishigaki n’ont pas eu le destin escompté. Après Blue Stinger, qui fut le premier jeu du studio, SEGA a contacté Climax pour demander expressément une suite (le jeu a très bien marché aux États-Unis) mais l’équipe était déjà au travail sur une nouvelle production : Illbleed. Le jeu, édité par Jaleco, sortira le 29 mars 2001, deux mois après l’annonce de SEGA d’arrêter la fabrication de la Dreamcast. Entre temps, Climax Graphics deviendra Crazy Games. L’aventure durera jusqu’à décembre 2002 et toute l’équipe sera repêchée par Cavia, dont le Président est alors Hayao Nakayama (ancien Président de SEGA). Le 14 février 2004, Shinya Nishigaki fut victime d’une attaque cardiaque et décéda à l’âge de 42 ans.
Blue Stinger est un jeu qui, étonnamment, ne revient pas souvent dans les titres préférés des possesseurs de Dreamcast. Parmi les jeux du lancement, on a plus tendance à citer Power Stone, SEGA Rally 2 ou encore Ready 2 Rumble, mais c’est oublier que le bébé de Climax est une sacrée performance. Pour un premier jeu, les développeurs ont frappé très fort. Ainsi, malgré des erreurs de jeunesse (la gueule des persos, les caméras, la synchro labiale à la rue…), Blue Stinger est une sacrée démonstration technique. Les effets de lumière, la pyrotechnie, les transparences… tout a été peaufiné et réglé comme du papier à lettres. Et en 2016, bientôt 2017, le titre se montre très plaisant à regarder (à condition d’être joué sur écran cathodique ou via un VGA-Box). Certes, les animations ont vraiment vieilli et la démarche des héros peut prêter à sourire, mais on oublie rapidement ces quelques défauts pour se plonger dans l’aventure.
Pour les besoins de cet article, j’ai ressorti ma version japonaise (qui est comme neuve et avec une jaquette bien plus belle que son ignoble homologue occidentale) afin de profiter des angles de caméra originaux et je dois bien avouer que j’ai passé un bon moment. Blue Stinger distille vraiment une ambiance à part et on se laisse emporter en oubliant les défauts. Il y a aussi quelques moments vraiment sympa, comme lorsque Eliot doit gravir la citerne d’essence avant que celle-ci n’explose. L’atmosphère, vraiment unique, apporte beaucoup de charme à une aventure qui se veut assez linéaire, avec des endroits cloisonnés et certaines longueurs. On apprécie les clins d’œil comme le mini-jeu Pen Pen Tri-Icelon ou les différentes enseignes SEGA. Il y a également des costumes improbables comme celui du Père Noël pour Dogs. Bref, Blue Stinger ne manque pas de surprises et il saura vous accompagner agréablement.
Sources :
Joypad n°86 et 90
Consoles + n°88
Photos : Mobygames