Imaginez que Tinder rencontre Game of Thrones… un curieux mélange ! Pourtant, vous obtenez Reigns, un jeu totalement addictif, à l’humour grisant et à l’ambiance étonnante.
Dans Reigns, premier du nom, les hommes sont au pouvoir, et les rois se succèdent de génération en génération. Reigns Her Majesty en est le digne successeur ! Ici les bijoux de famille sont tombés. Place aux femmes qui portent la culotte, finissent décapitées ou mangées par les chiens, sans jamais perdre leur sang froid.
Pour en savoir plus sur le jeu et la créativité décomplexée de son créateur, découvrez notre interview.
Teaser de lancement :
A propos de Nerial :
Aurélie Knosp : Bonjour cher représentant du jeu Reigns. Peux-tu te présenter ? Quelle est ta couleur préférée, bleu ou rouge ?
François Alliot : Je m’appelle François Alliot et je suis à la fois le directeur, codeur, développeur et designer pour Nerial. Ce qui est facile à dire vu que je suis le seul employé. Je crois que j’ai une préférence pour le bleu, qui est une fausse couleur sympa (en fait assez froide, coupante et pas très appétissante: tu mangeras jamais un truc bleu, à part les bonbons schtroumpf, mais c’est un peu sadique).
Quelques mots sur Nerial, pourquoi ce nom, vos premiers jeux (Singular, Magicshot, Devouringstars) et l’évolution de la boîte ?
Nerial c’était un méchant dans une des histoires que j’ai imaginé quand j’avais 12-13 ans. J’ai tenté dans le mettre dans un jeu, ça n’a pas marché, du coup c’est devenu mon pseudo sur internet et assez naturellement le nom de mon studio.
J’ai créé Nerial il y a 4 ans quand j’ai débarqué à Londres et que je suis devenu indé. Aucun projet avant Reigns n’a vraiment marché mais chacun m’a permis de développer un truc qui a été déterminant dans le succès de Reigns.
Il y a Singular, dont j’ai vendu 200 exemplaires (merci maman), et qui m’a permis de maîtriser une compétence très sous-estimée par les dév indés: la capacité à boucler un projet dans un temps raisonnable (6 mois pour Singular). Avec MagicShot (2000 exemplaires), j’ai appris à collaborer avec d’autres gens, en l’occurrence Arnaud De Bock (qui bosse sur Her Majesty) et Renaud Bédard (le développeur de Fez qui était le musicien sur Magic Shot). Devouring Stars (4000 exemplaires) j’ai appris à travailler – ou ne pas travailler – avec un éditeur. L’éditeur en question a fait faillite et je n’ai quasiment rien touché du jeu, mais bon… c’était une bonne leçon, salutaire pour la suite. Ensuite, il y a eu un petit projet de jam, Passengers (10000 exemplaires), qui m’a appris à écrire dans un jeu vidéo.
Aujourd’hui on a vendu 2 millions d’exemplaires de Reigns, c’est un peu comme si la foudre nous était tombée dessus. Un coup de chance énorme et réellement incroyable, mais un coup de chance qui a été possible grâce à l’expérience accumulée au fil des projets.
Comment financez-vous vos projets ?
Pour ça il y a clairement un avant et un après Reigns. Avant Reigns mon dèv était financé par mon activité de conseil à côté. Développer des jeux est vraiment ma 2ème vie professionnelle, j’ai été consultant pendant 10 ans à Paris avant ça.
Le développement de Reigns et Her Majesty a été financé en majeure partie par mon éditeur, Devolver Digital. Quand on commence à gagner des sous, ils se remboursent puis prennent une cut.
Combien étiez-vous sur le développement du jeu Reigns ? Etait-ce du travail payé et à plein temps ou sur du temps libre à manger des pâtes et ne plus vous doucher ?
On était cinq personnes en tout sur Reigns, dont deux à temps plein, moi et l’artiste, Mieko Murakami. S’y ajoute Disasterpeace (le musicien) qui dirigeait un sound designer et un autre musicien.
Grâce à Devolver, on a pu mettre du beurre dans les pates. C’était pas Byzance, mais on a survécu, ce qui était aussi rendu possible par la durée du dèv, neuf mois. Mes partenaires sont payés avec un mix de flat fee (de l’argent prise sur la caisse du studio) et de revenue share (après les cuts de Devolver et des stores), le studio gérant l’administration de l’ensemble et gardant la propriété de la propriété intellectuelle.
A propos de Reigns :
Reigns en trois mots ?
Swipe’em up (c’est pas de moi, c’est une idée de Nigel Lowrie de Devolver).
Teaser de gameplay :
Il y avait quoi dans vos têtes pour faire un jeu aussi bizarre ? Quel était le pitch de départ et comment a-t-il évolué ?
Le pitch de départ qu’on a envoyé à Devolver était “un mix de Tinder et Game of Thrones”. On a pas trop dévié de cette idée en fait. C’est le genre de mécanique qu’il est très intéressant d’explorer, de tordre dans tous les sens tout en restant fidèle au principe de base, la mécanique du swipe, qui est très ludique. Ce n’est pas un mystère si Tinder fonctionne aussi bien: c’est un jouet avec un flow (like/notlike) très addictif.
Je trouve que Reigns ressemble à un curieux mélange de Tinder et de Sacré Graal (Monthy Python). Que pensez-vous de cette comparaison ?
C’est une très élogieuse comparaison! Dans Reigns, le décalage entre les décisions que vous prenez (assez lourdes…) et le swipe (très casu…) est par nature drôle. Ca m’a poussé à écrire des cartes qui exploitent ce côté un peu grotesque d’envoyer des centaines de gens à une mort certaine d’un swipe négligeant du pouce.
Quelles sont vos sources d’inspiration (DA, gameplay, histoire, humour…) ?
Monty Python mais également Kaamelott pour la galerie de personnage que le Roi tente de gérer tant bien que mal. Ce sont aussi de très bonnes références pour trouver un ton, une structure et un rythme qui fonctionnent.
L’histoire de ces rois est-elle venue avant les dialogues, ou bien est-ce les cartes et les objectifs qui sont le point de départ ? Bref comment avez-vous construit et scénarisé un jeu qui semble porté par l’absurde tout en restant cohérent ?
Dans le prototype on avait poussé tous les principes en même temps: les cartes (une cinquantaine de cartes), les objectifs, quelques persos et même les effets. Comme j’ai fait à la fois le code et l’écriture, le reste du développement c’est fait de manière cyclique, avec des paliers de cartes à écrire (150, 250, 400, 600, 800) et le code qui correspond. J’ai développé un outil spécifique pour l’écriture, en gros tout le jeu tient dans une feuille excel.
Quel est l’âge (du roi) maximum à atteindre, pour quelle génération ? Une astuce pour avoir la “bonne fin” ?
Beaucoup de gens ont dépassé le siècle. Il n’y a pas vraiment de limite. Pour vivre le plus longtemps possible il est conseillé d’avoir “recruté” l’homoncule. Pour décrocher la bonne fin, je vous conseille de bien écouter la sorcière, l’homoncule et le squelette.
Quelle est la part d’aléatoire dans nos décisions ? Voulez-vous, de manière fine et précise, nous faire perdre la tête ?
Haha. Reigns est ce que j’appelle pompeusement un “système probabilistique”. C’est aléatoire mais encadré par un certain nombre de règles plus ou moins contraignant selon l’état de votre royaume. Par exemple si vous renforcez le pouvoir de l’église, vous allez augmenter vos chances de déclencher sa prise de pouvoir.
Pourquoi l’avoir porté sur Steam, le mobile ne suffisait-il pas ? D’ailleurs en terme de ventes, que montrent les chiffres sur votre réussite (pays, supports, jour de la sortie, soldes…) ?
On a sorti le jeu le même jour (11 août 2016) et au même prix ($3) sur l’AppStore, Google Play et Steam. J’ai toujours pensé que ça pouvait bien marcher sur Steam. C’est pour ça qu’on avait contacté Devolver aussi, parce qu’ils avaient réussi un truc assez inédit avec Downwell: un jeu par essence mobile qui fonctionne bien sur PC.
On a eu raison, on a vendu plus de 400 000 exemplaires du jeu sur Steam, c’est un des jeux indie qui s’est le plus vendu cette année là sur Steam. Ca représente environ 20% des ventes totales de Reigns, Google Play représentant 30% et l’App Store 50%.
Quel est ce “Compagnon Book” que nous retrouvons sur Steam ?
Essentiellement un délire de l’artiste.
Que vous a apporté/ apporte votre éditeur, Devolver (soyez honnêtes, y a un chien aux yeux rouges qui vous fixe et semble lire dans vos pensées) ?
Ils m’apportent de la bière, des sous et du bonheur! Sérieusement, travailler avec Devolver a été une expérience formidable. Même en cherchant bien j’ai du mal à trouver un truc qui n’a pas bien marché avec eux. Ils m’ont vraiment épaulé pour sortir le jeu dans les meilleures conditions. Devolver n’est pas un éditeur classique, c’est à la base six personnes (dont une bonne part de vétérans de l’industrie) qui veulent aider des indés à sortir des jeux. C’est ça qui les intéresse et qui leur a permis de développer ce label si particulier.
On retrouve très peu de reviews et d’articles sur Reigns. Que pensez-vous de l’influence des journalistes mais aussi des youtubeurs sur les ventes de jeux ?
L’absence de reviews, je pense que c’est surtout la nature “mobile” du jeu qui explique cela. C’est dommage, le mobile est une plateforme étonnante ces jours-ci où se réinventent les façons de jouer en permanence. C’est un marché très large, ce qui fait que quelques petits indés prémium y ont leur place même si cette place est ridiculement insignifiante comparée à celle des gros free-to-play.
Les youtubeurs et Twitch, ça a bien fonctionné pour Reigns. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles on est sorti sur Steam: ils sont plus à l’aise avec le format PC.
A propos de Reigns : Her Majesty :
Le jeu sera-t-il exactement similaire au premier ? Gardez-vous l’idée des objectifs, des cartes, les records d’âge, les dés, les combats avec insultes, etc … ?
Non, le jeu est au final très différent. On a gardé aucune carte du premier Reigns, on a essayé de réinventer la plupart des mécaniques. Bien sur le principe reste le même, mais l’expérience sera différente.
Pourquoi le choix de contrôler une femme, d’où a émergé cette idée ?
Beaucoup de joueurs et de joueuse trouvaient dommage qu’on n’incarne que le Roi dans Reigns, pas la Reine. C’était compliqué à faire dans Reigns, à la fois d’un point de vue technique et d’un point de vue narratif. Autant je peux écrire quelques cartes pour la Reine, autant développer le personnage à fond et sa position dans la cour supposait et bien… d’être une femme. Du coup l’écrivain de Reigns Her Majesty est Leigh Alexander. C’était aussi l’occasion pour moi de travailler avec elle, j’ai toujours été un grand fan de ses analyses faisant des parallèles entre mythologie et technologie, ça allait tout à fait dans le sens de ce que je voulais faire dans Her Majesty.
Du coup, allons-nous sauver des princes et affronter des dragons ?
Pas exactement, mais pas loin.
Qu’avez-vous ajouter comme différence/ particularité ?
La principale nouvelle mécanique du jeu est l’inventaire. Le joueur va avoir accès à cinq objets en bas de l’écran qu’il va pouvoir faire interagir avec les personnages qui apparaissent. En fonction de l’objet, de la circonstance et du personnage, de nouveaux chemins dans l’histoire vont pouvoir se développer. On a aussi fait ça pour créer des “raccourcis” dans la narration, que vous puissiez déclencher un évènement sans avoir à attendre la bonne carte pendant des siècles.
Egalement, chaque reine est associée à un signe du zodiac différent, qui va affecter les évènements associés à chaque règne.
Faîtes-vous des clins d’oeil ou des liens direct au premier Reigns ?
Quelques uns, mais je vous laisse découvrir ça.
Autre chose à dire que je n’ai pas demandé ?
Vive la Reine!
Longue vie à Nerial :
Un conseil pour se lancer dans le développement de jeux indépendants ?
Faites autre chose. Sérieusement, ne vous enfermez pas dans la pure création de jeux dès le début de votre carrière, allez-voir ailleurs, enrichissez-vous, voyagez, rencontrez des gens. La création de jeux indépendants est un processus épuisant, qui va vous lessivez physiquement et mentalement. Je pense qu’on ne se prépare pas à ça en faisant “plus de jeux”, je pense qu’on s’y prépare en allant voir ailleurs. Pour moi ça a pris plus de 10 ans. Je suis très heureux d’avoir sauté le pas et d’y mettre mis “pour de vrai”, mais je ne m’imagine pas faisant ça à 18 ans.
Enfin, un gentil mot plein d’amour et de coco pour les joueurs qui vous suivent. Même chose pour ceux qui viennent de vous découvrir.
Je suis vraiment navré que le bouffon se comporte ainsi, je tremble de vos rencontres avec le diable, je suis confus que vous restiez coincé dans ce fichu donjon. Portez vous bien.
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