Vous venez de trouver un téléphone, “ A normal lost phone ” … Qu’allez-vous faire ? Chercher à le rendre à son propriétaire ou fouiller dans ses affaires ?
Dans tous les cas, votre curiosité sera votre seule alliée ! Une intrusion dans une vie pleine de mystères !
Ainsi, l’histoire aborde des thèmes forts, via un gameplay des plus originaux. Pour en savoir plus, découvrez notre interview sur A Normal Lost Phone d’Accidental Queens.
Aurélie : Quand et par qui a été créé le studio ?
Accidental Queens : Accidental Queens est un studio en cours de création, qui devrait naître dans les mois qui viennent. Il est co-fondé par trois femmes, Diane Landais, Miryam Houali, et Elizabeth Maler. Notre premier jeu A Normal Lost Phone a été produit en collaboration avec Estelle Charrié et Rafael Martinez-Jausoro, qui en sont aussi co-auteurs
Aurélie : Quel est votre leitmotiv ?
Accidental Queens : Nous cherchons à faire des jeux qui présentent de nouvelles mécaniques, en explorant des sujets de la vie de tous les jours et des questions de société au travers d’outils narratifs innovants.
Aurélie : Quel est le parcours des personnes présentes chez vous (études, expériences professionnelles)?
Accidental Queens : Diane a fait une licence d’informatique avant de travailler pendant quelques années en tant que développeuse chez Beemoov. Miryam a fait un Master Jeux et Médias Interactifs Numériques à l’ENJMIN, suivi de deux ans de graphisme et illustration en freelance. Elizabeth a fait le même Master, et a travaillé en tant que producer dans un studio indé à Montréal, puis a dirigé un laboratoire de playtest. Estelle a fait des études de cinéma d’animation à l’EMCA, avant de travailler en tant que freelance dans le cinéma d’animation. Rafael a repris des études en Game Design au Cologne Games Lab après avoir travaillé chez Nintendo, et avant cela en tant qu’archéologue.
Aurélie : Quels sont les principaux métiers ? Concrètement, en quoi consistent-ils ?
Accidental Queens : Sur A Normal Lost Phone, on a eu deux game designers/scénaristes, qui écrivaient l’histoire du jeu et les énigmes, une artiste qui travaillait sur la direction artistique du jeu et une autre qui travaillait sur tous les éléments de communication, et une programmeuse qui codait le jeu. À cela s’ajoutent de nombreuses personnes qui travaillaient en dehors du studio pour faire exister le jeu : des personnes sur le sound design, sur la musique, sur les traductions, sur les relations presse, sur l’aspect juridique…
Aurélie : Quels sont vos outils de production (crayons, feuilles, ordi, logiciels) ?
Accidental Queens : Nous utilisons principalement des ordinateurs pour travailler. Mis à part le classique duo papier/crayon pour prototyper des idées et faire des croquis, nous n’utilisons presque jamais quoique ce soit de tangible ! Pour le code, nous utilisons Unity, l’écriture se fait via Google drive, les assets graphiques sont faits avec Photoshop, et Trello nous sert à coordonner tout ça.
Aurélie : Suffisamment rare pour le signaler… Vous êtes une équipe avec presque que de femmes ! Concrètement, ça change quelque chose ? Une idée pour avoir plus de mixité dans le jeu vidéo ?
Accidental Queens : Pour avoir plus de mixité dans le jeu vidéo, il faudrait plusieurs choses. Tout d’abord, montrer la voie à des jeunes femmes qui pourraient être intéressées par l’industrie et vouloir y travailler mais qui n’osent pas, pensant qu’il s’agit d’une industrie d’hommes. Cela peut se faire via des ateliers destinés aux petites filles ou aux collégiennes/lycéennes, via des articles pour mettre en avant des créatrices célèbres… Ensuite il faut que l’industrie se montre plus accueillante, afin qu’elles aient envie d’y rester. Parfois, ce sont juste des petits détails, mais qui en se cumulant finissent par agacer. Pour prendre l’exemple du salon Evry Games City, il y a des personnes qui nous ont prises pour des hôtesses. C’est quelque chose d’assez tristement habituel, qui est aussi arrivé à beaucoup de nos amies dans l’industrie car on a pris l’habitude de voir des femmes embauchées pour « faire vendre » des jeux sur les salons. Mais est-ce que c’est vraiment nécessaire d’embaucher des mannequins pour vendre des jeux vidéo, ou pour vendre quoi que ce soit d’ailleurs ?
Aurélie : Quel a été le point de départ de votre premier jeu ?
Accidental Queens : Cela a été un mélange de plusieurs inspirations. L’une d’entre elle était “Her Story”, un jeu dans lequel on peut visionner dans le désordre des morceaux d’interrogatoires de police, et essayer de comprendre ce qui s’est passé via ces extraits décousus. Cela nous a donné envie de faire un jeu de “puzzle narratif”, dans lequel on peut récolter des morceaux d’histoire et recoller soi-même les morceaux pour comprendre ce qui s’est passé.
Aurélie : Peux-tu nous expliquer en quelques phrases A Normal Lost Phone ?
Accidental Queens : C’est un jeu dans lequel vous avez trouvé le téléphone de quelqu’un, et vous allez pouvoir le fouiller pour essayer de comprendre ce qui est arrivé à son propriétaire. C’est un jeu essentiellement narratif, bien que certains éléments demandent une interaction pour pouvoir progresser. Les éléments qui constituent l’histoire sont en fait les messages, les photos de la galerie ou toutes les autres données contenues sur un téléphone. On sait bien que les téléphones de tout le monde racontent une histoire, celle de leur propriétaire.
Aurélie : Comment vous différenciez-vous de la pléthore de jeux indépendants ?
Accidental Queens : Sûrement déjà par le genre de jeux que nous faisons. Même si les jeux narratifs et immersifs ont “la cote” en ce moment, des simulations de téléphones perdus, il n’y en a pas encore beaucoup… Aussi par notre propos, car nous parlons de thèmes pas encore très répandus dans les jeux.
Contrairement à d’autres jeux qui se passent dans des téléphones et qui ont choisi de mettre l’accent sur l’intrusion dans des données privées, sur le hacking et des scénarios un peu cyberpunk, nous avons fait le choix de raconter une histoire ancrée dans la vie quotidienne.
Aurélie : Concernant les thèmes abordés dans A Normal Lost Phone… En quoi sont-ils mieux exploités par le jeu vidéo ?
Accidental Queens : Raconter une histoire à travers ce support est comme un exercice de style. La même histoire pourrait être racontée dans un bon vieux roman, mais toute la saveur de notre jeu réside dans la découverte de cette histoire à travers le téléphone et pas autre chose. On nous a souvent dit que le jeu paraissait “vrai”, qu’il touchait sincèrement les joueurs : pour nous, c’est étroitement lié à l’immersion qu’il procure. Si on oublie qu’on est en train de jouer, peut-être qu’on n’est pas en train de jouer ? Qu’est-ce qui serait différent, si on trouvait un véritable téléphone et que cette histoire fictive n’était justement… pas fictive ? Pour ce qui est du gameplay et de la manière dont le joueur va interagir avec le jeu, en revanche, c’est très transparent : on ne joue pas un personnage, mais on se joue soi-même ayant trouvé un téléphone.
Une fois que ce lien intime est construit, on peut parler de beaucoup de choses et les exploiter d’une manière totalement différente d’un livre, d’un film, ou de n’importe quel autre support d’expression.
Finalement, est-ce qu’on a “mieux” exploité les sujets dont on parle ? Peut-être pas, mais ce qui est sûr c’est qu’on l’a fait d’une manière nouvelle, innovante, et qui nous correspond à tous dans l’équipe : par le jeu vidéo.
Aurélie : Vous parlez de thèmes très forts et peut être même tabous pour certain(e)s. D’où viennent vos inspirations, sont-elles réelles ?
Accidental Queens : Ce n’est ni une autobiographie, ni même une biographie. Par contre ce que nous racontons tire son inspiration d’entretiens avec de nombreuses personnes concernées par ces thèmes. Sans avoir cherché à raconter l’histoire d’une personne en particulier, nous avons cherché à en inventer une qui soit plausible, que beaucoup auraient pu vivre.
Aurélie : A Normal Lost Phone a été développé durant la Global Game Jam de 2016 et a rencontré un franc succès ! Qu’est-ce qui a fait la différence ? Vous attendiez-vous à une telle reconnaissance ?
Accidental Queens : On ne s’attendait PAS DU TOUT à une telle reconnaissance. D’ailleurs c’est pour ça que le studio se nomme « Accidental Queens ».
Pour nous la différence est liée à plusieurs facteurs :
Tout d’abord la simplicité : Ce jeu n’a pas besoin de tutoriel, et n’importe qui peut y jouer. Aucun “skill de gamer” n’est requis, juste savoir se servir d’un téléphone.
L’envie d’enquêter : À force d’être inondé de séries policières, de polars, de jeu d’enquête, beaucoup de personnes développent cette envie de jouer au détective. On peut d’ailleurs observer un essor des escape rooms ! Avec notre jeu, les joueurs peuvent ressentir le plaisir de mener une vraie enquête, et s’immerger complètement en oubliant qu’il s’agit d’un jeu.
Le thème : On parle d’adolescence et des questionnements intimes qu’elle amène et Life is Strange a déjà ouvert la voie pour nous sur ce sujet. Ce thème touche beaucoup de monde mine de rien !
Aurélie : Qu’est-ce que la version “plus aboutie” du jeu apporte de plus que le prototype que vous aviez développé lors de la Global Game Jam ?
Accidental Queens : Il y a plus de contenu narratif, de nouvelles énigmes, un meilleur développement de certains personnages secondaires, de nouvelles applications, de la musique, et une refonte graphique. Et désormais on peut jouer au jeu sur téléphone, ce qui est beaucoup plus naturel !
Aurélie: Qu’est ce qui vous pousse à continuer dans le domaine du jeu vidéo ?
Accidental Queens : Nos fans ! Quand on reçoit des messages de type « votre jeu m’a beaucoup aidé dans ma vie », impossible de ne pas avoir envie de continuer.
Aurélie : Peux-tu expliquer en quoi A Normal Lost Phone peut aider les gens ? C’est une volonté de votre part ?
Accidental Queens : Il y a une volonté d’offrir un espace de questionnement, dans lequel les joueurs et les joueuses vont pouvoir, s’ils le veulent, s’interroger sur leurs préconceptions. On espère ainsi que certaines personnes vont réfléchir à comment leurs paroles ou leurs actes peuvent impacter négativement certaines personnes. On a aussi voulu porter un message d’espoir pour les personnes concernées par les thématiques que nous abordons.
Aurélie : Un conseil pour monter son propre studio ?
Accidental Queens : Dès le départ, prévoir dans le plan de financement l’échec commercial des premiers jeux. Il est assez dur aujourd’hui de réussir à dégager des gros bénéfices avec un jeu indépendant, et il faut prévoir l’éventualité que le succès ne sera pas au rendez-vous, et réfléchir à comment le studio pourrait continuer de fonctionner malgré tout.
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